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bonnettes pour suppléer à ce que la voilure réglementaire avait d’insuffisant.

Oui, mais c’est à la guerre qu’il faut suivre cet appareil de locomotion, dans lequel on met une certaine coquetterie. Avant le combat, il est non-seulement une superfétation, mais aussi un empêchement pour la marche ; dans le combat, aux premiers boulets, il jonche le tillac de débris, blesse ou tue les hommes par des éclats, obstrue les ponts, entrave les services. Des masses de bois ou de fer s’en vont à la dérive, des cordages hachés pendent de toutes parts et vont parfois s’engager dans l’hélice. Le bâtiment ne gouverne plus ou gouverne mal, les sabords sont masqués, les gaillards encombrés. Il y a toujours un quart d’heure d’alerte, et souvent ce quart d’heure suffit pour faire tourner au pire les chances d’une rencontre. Ce retour à des réalités évidentes devrait calmer bien des engouemens, et quelques lignes du vice-amiral Jurien témoignent à quel point, dans ces questions sujettes à controverse, il gardait de liberté d’esprit. « Réduire la mâture aux seuls bas mâts, écrivait-il, et la voilure aux seules voiles goélettes, me paraîtrait le parti le plus sage. Les autres voiles seraient en soute, le gréement dans la cale, les vergues de hunes en drôme, les basses vergues poussées en pointe, les mâts de hune le long des bas mâts. » Toutes ces mesures sont des mesures de précaution, d’atténuation et d’effacement. On conserve la voile, mais en la dissimulant le mieux qu’on peut. Les officiers-généraux savaient aussi, comme leur chef, revenir de leurs impressions de bord et juger plus froidement ce qu’exigent les temps nouveaux. Dans la division cuirassée du nord, le même retour à un caprice pour la voile s’était produit, et avait donné lieu à un nouveau projet de mâture. La surface de voilure était augmentée au moyen d’un phare d’artimon, de cacatoès, de focs. Des mâts de perroquets à flèche, des barres, des boute-dehors de focs devenaient nécessaires ; un gréement et des manœuvres courantes d’un diamètre plus considérable étaient en outre demandés. Naturellement ce projet fut soumis à l’escadre de la Méditerranée, et une commission nommée par le commandant en chef eut à l’examiner. Cette commission en fit résolument justice. A l’unanimité des voix, elle se prononça contre les changemens proposés, et demanda, dans un rapport très étudié, « le maintien des mâtures et voilures actuellement affectées au type Provence, leurs forces et les surfaces étant en complète harmonie avec les missions qu’elles sont appelées à remplir et avec les nécessités du moment. »

Cette querelle au fond n’en est pas une ; elle tient moins à une opinion qu’à un goût, et ce goût ne s’éteindra qu’avec les générations entrées dans les cadres vers le premier tiers de ce siècle, et