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battaient, les yeux s’animaient, quand, par de belles brises, on voyait les six cuirassés larguer leurs huniers et couper hardiment la lame, le Magenta un peu lourd d’allures, les frégates plus légères, et courir ainsi des bordées ou se rendre d’un golfe à l’autre avec les hélices au repos. Même le point d’honneur s’en mêla le jour où un appareillage de ce genre eut pour témoin la frégate russe qui portait un prince du sang. Nos cuirassés s’en tirèrent à leur honneur ; mais combien d’officiers regrettèrent qu’on ne pût pas déployer au vent une plus grande surface de toile, afin de fournir une course plus brillante ! Aussi, lorsque dans une inspection générale on demanda aux contre-amiraux et aux capitaines de vaisseau ce qu’ils pensaient de leurs mâtures, il n’y eut qu’une voix sur la nécessité de les maintenir ; pas un n’opina pour les réduire.

Il ne faudrait pourtant pas que, dans la flotte, on se payât d’illusions. Ce sont là des exercices de plaisance, non des exercices de guerre. En temps de paix, on peut faire cette part aux souvenirs et aux habitudes, respecter les derniers hochets d’une tradition glorieuse ; mais, quand vient la guerre, rien ne compte que ce qui est sérieux. Qu’on laisse aux navires cuirassés les moyens d’installer quelques voiles de fortune afin qu’ils puissent, en cas d’avarie dans la machine, gagner le port le plus voisin, rien de mieux, pourvu que ces moyens très sommaires ne causent point d’embarras. Hors de là, tout cet attirail de mâts, vergues, cordages, gréement, doit disparaître, laisser le pont libre. Comme satisfaction de coup d’œil et comme service régulier, c’est d’ailleurs et toujours fort incomplet. L’escadre de la Méditerranée a pu faire au large une certaine figure ; mais si elle avait dû s’engager à la voile dans des passes, raser la côte, il lui eût fallu dans sa voilure d’autres conditions de surface, porter par exemple celle du Magenta de 1,852 à 2,884 mètres carrés, celle des frégates de 1,761 à 2,801 mètres. Non, il n’est point de motif secondaire qui puisse tenir devant cette considération essentielle — qu’un vaisseau doit être avant tout un instrument de combat. Ce n’est ni dans les ports, ni au repos, ni dans les croisières de fantaisie qu’il faut le voir, c’est au feu. En faire un instrument à deux fins serait une de ces erreurs qui coûtent cher ; il n’a qu’une fin, l’action, qu’un moyen de s’y préparer, la suppression de ce qui y serait une gêne ou un obstacle. Il est d’autant plus opportun d’insister là-dessus que les dernières campagnes d’évolutions ont été pour ainsi dire une réhabilitation de la voile. Jamais escadre n’avait mieux navigué sans feux, ni fourni, par toutes les directions du vent, de plus longues et de plus heureuses courses. Une sorte d’enthousiasme avait gagné les officiers comme les équipages, si bien qu’on dut faire venir de Toulon des jeux de