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pour la navigation et le combat, d’un certain nombre de figures géométriques, indique d’abord le moyen de rassembler dans des ordres ainsi définis les vaisseaux qu’il suppose dispersés. Il décrit ensuite une série de mouvemens à angle droit destinés à faire passer ces vaisseaux avec une exactitude mathématique et une vitesse toujours uniforme d’un ordre à un autre. La constitution de l’ordre primitif est ce qu’on appelle une formation ; le changement d’ordre ou de route accompli en suivant un chemin rigoureusement tracé à l’avance est une évolution. Or les évolutions rectangulaires, qui convenaient à des bâtimens appelés à combattre par le travers, ne convenant plus ou convenant moins aux navires cuirassés devant agir par le choc, c’est-à-dire par l’avant, il a fallu recourir à un nouveau système de manœuvres basé sur de légères obliquités de route et sur une altération proportionnelle des vitesses. De là, entre l’évolution et la formation, une confusion contre laquelle le vice-amiral Jurien se tient fermement en garde. Il veut que les attributs restent distincts comme les termes, que l’on nomme évolution les mouvemens absolus dans le tracé, impassibles dans l’allure, que la marine pratique depuis dix ans, et formation tous les cas qui comportent à un degré quelconque une certaine indépendance de manœuvre. Il craint surtout, on le voit, que, dans des évolutions mal faites, les bâtimens qui doivent agir par le choc ne prêtent le flanc par des abatées, et ne perdent leur attitude offensive. Sa. conclusion, c’est que l’officier qui évolue est dans une autre situation que l’officier qui manœuvre ; l’un n’est pas maître de ses mouvemens, l’autre en reste le maître dans une certaine mesure.

La formation, voilà le vrai procédé de combat ; encore serait-ce une illusion de croire qu’une armée — ayant toujours eu pour principe de ne changer d’ordre que par une série de mouvemens réguliers — pourra tout d’un coup jeter là ses lisières et exécuter des formations avec la même souplesse, avec la même aisance que si elle n’avait jamais manœuvré autrement. L’indépendance est un instrument dont on joue mal quand on n’en a pas acquis l’habitude. Aussi, pendant le cours de deux années, l’escadre de la Méditerranée en a-t-elle largement usé. Comme ses devancières, elle a passé en revue la série complète des évolutions de la tactique à voiles et de la tactique à vapeur ; mais elle ne s’est pas laissé engourdir dans ces pratiques faciles. A côté de l’évolution, le commandant en chef a constamment placé la formation, ou, pour se servir d’un terme plus explicite, la manœuvre. Dans quelque sens que puisse abonder le code d’évolutions, il restera subordonné au complément obligé qu’il a reçu. En présence de l’ennemi, on n’évoluera jamais, on manœuvrera toujours.

Dans le cours de ces données, le vice-amiral Jurien ne dissimule