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Disraeli portait juste : Lewis était un administrateur excellent, un auxiliaire précieux dans un parti, sa parole jouissait à la chambre et dans le cabinet d’une juste autorité ; mais il n’avait ni l’éclat, ni l’audace, ni la passion nécessaire pour élever et soutenir un homme au premier rang.

Ce que pense un homme de cette trempe est plus instructif que ce qu’il fait, ses erreurs mêmes sont bonnes à méditer, parce qu’elles n’ont rien de banal. Ainsi, lorsqu’éclata la guerre de la sécession aux États-Unis, Lewis partagea l’illusion de l’Angleterre sur l’issue de la crise. Il est difficile de ne pas se tromper avec tout le monde ; Lewis n’était pourtant pas entraîné par le torrent, il n’obéissait pas à des préventions nationales, il ne mettait pas, comme la plupart des Anglais, tout le droit d’un côté, tous les torts de l’autre. Il se croyait seulement à la veille de voir l’événement vérifier une opinion ancienne chez lui et qu’il exprime souvent dans ses lettres, c’est que le système fédératif est le plus fragile des gouvernemens. Cette conviction datait de loin. Dès ses premiers voyages en Allemagne, la constitution du corps germanique l’avait frappé par ses défauts. En 1847, à propos d’une brochure de M. Grote sur les désordres survenus en Suisse, il faisait encore ressortir les inconvéniens de toute constitution fédérale. Plusieurs circonstances l’avaient ramené depuis lors à réfléchir sur la question. Les agitations de 1848, le congrès de la paix, la guerre de Crimée, avaient successivement remis en circulation la vieille idée d’une fédération européenne, rêve de tant de politiques, de philosophes et d’utopistes, depuis Henri IV, E. Kant et l’abbé de Saint-Pierre. Le plan d’une fédération italienne avait été ébauché au congrès de Zurich. Les malheurs attribués à l’excès de la centralisation en France suscitaient parmi les amis de la liberté des partisans inattendus d’une organisation fédérative. C’était une question à l’ordre du jour, sur laquelle Lewis revient d’autant plus volontiers qu’il est plus éloigné de ce nouvel engouement, et qu’il y voit non-seulement une illusion, mais un danger. — Il ne pouvait d’ailleurs toucher à cette question sans que sa pensée se portât aussitôt sur les États-Unis, et la vivacité de plus en plus menaçante de l’antagonisme entre le nord et le sud l’attachait davantage à l’examen d’un sujet qui lui paraissait être, bien plus que l’esclavage, le nœud de la querelle. Peu à peu la question s’élargit, ses réflexions prennent la forme d’une étude positive, et il médite le plan d’un essai « sur le gouvernement fédéral, national, provincial et municipal. » Il rencontre mille équivoques à lever, mille analogies trompeuses à expliquer, mille questions de droit public ou de droit des gens, celle des congrès par exemple, à élucider. Devancé par M. Freeman, auteur d’une histoire générale