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digne d’attention. Le soudain établissement du suffrage universel en France le caractérise plus clairement encore. Les effets ne s’en font pas longtemps attendre. Après des troubles sanglans, les choses semblent s’apaiser ; le nom d’un autre Napoléon surgit du suffrage universel. Comme cet apaisement et l’apparition du prince Louis-Bonaparte coïncident à peu près, Lewis incline à faire honneur de ce résultat à la sagesse du prince président, conclusion qui étonne chez l’auteur d’un livre sur la méthode de raisonnement en politique. Il se sent, à sa grande surprise, devenir bonapartiste, et il cherche à s’expliquer ce miracle. C’est qu’une nation a besoin de souvenirs : « or les Français détestent l’ancien régime et ses inégalités, outre qu’il faut convenir que le gouvernement de la France au siècle dernier était trop mauvais pour qu’une nation civilisée le supportât longtemps. Ils ne sont pas fiers de la restauration, un gouvernement imposé par l’étranger. Celui de Louis-Philippe était un système d’égoïsme : d’où il suit qu’il n’est pas une page dans leur histoire qu’ils regardent avec plaisir, si ce n’est les guerres et la gloire du consulat et de l’empire. » Il y aurait ici plus d’une expression à rectifier ; ces appréciations sommaires pèchent toujours par quelque endroit ; mais comment, dans les traditions de la France, George Lewis omet-il 1789 ? Ce n’est qu’une date sans doute, mais c’est une date qui résume et couronne de longs efforts. Tous les gouvernemens qu’il énumère, si différens et quelquefois si hostiles, ne sont-ils pas obligés de se placer également sous les auspices de cette époque ? et si la révolution a 93, l’empire n’a-t-il pas 1814, 1815 et l’invasion ? Lewis s’imagine que le prestige napoléonien n’a plus besoin d’être nourri, rafraîchi par les succès militaires ; il se félicite que le prince président n’ait rien d’un capitaine, il le voit d’avance gouverner en paix, heureux et satisfait de son rôle. Le 2 décembre le réveille de cette illusion. « Les cris contre les socialistes, écrit-il, sont pure hypocrisie ; les chefs de l’assemblée qu’on vient d’arrêter n’étaient pas des socialistes… Il est évident que toute l’affaire est une singerie du consulat et de l’empire ; mais l’emploi de la force a été plus brutal que sous la convention et au 18 brumaire. Les procédés du comité de salut public étaient réguliers, constitutionnels, en comparaison du 2 décembre. La presse et la tribune réduites au silence, lorsque l’armée n’aura plus d’ennemis intérieurs à combattre, elle réclamera le prix de ses services. » Dès lors, si Lewis ménage le nouveau régime, c’est qu’il lui sait gré des guerres qu’il n’entreprend point, des violences dont il épargne le spectacle à l’Europe, des perturbations qu’il ne jette pas dans les relations des peuples. Il nourrit au fond à son égard une défiance profonde ; la politique impériale justifie, à son sens, toutes les inquiétudes, et on l’a entendu reprendre et développer, au milieu