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révolutions violentes. Il les réprouve, ce qui est bien d’un Anglais, surtout parce que d’ordinaire elles ne réussissent pas et laissent les choses dans un pire état qu’auparavant, mais il ne s’en indigne point. M. et Mme Austin, témoins oculaires de celle de février, lui décrivent le lendemain avec effroi la physionomie de Paris. Il leur répond tranquillement : « Une chose est certaine, c’est « que les événemens ne suivront pas le même cours qu’en 1789 et en 1830. Il n’y a pas de tendance à la propagande aujourd’hui. La révolution n’est pas purement sociale, elle est socialiste. Quelqu’un définissait le gouvernement provisoire (provisional) un gouvernement chargé de fournir des provisions ; ce qui est vrai, c’est que nous allons voir réclamer un nouveau protectionisme au profit du peuple maintenant que la protection douanière au profit des capitalistes est un système abandonné. » Puis, faisant un retour sur les contre-coups possibles du 24 février en Angleterre, il se rassure aussitôt. « Il y a un parti assez fort qui voudrait tenter la même expérience ici, mais elle ne saurait réussir à aucun degré. Dans toutes nos actions, folles ou sages, nous ne faisons les choses qu’à moitié, et, vu la forte dose de folie qui entre comme alliage dans l’opinion, peut-être l’existence de ce frein perpétuel que nous mettons aux roues en montant comme en descendant n’est-elle point à regretter. » Voilà bien en effet ce qui caractérise le mouvement politique en Angleterre : le frein perpétuel jusqu’au moment où on le desserre d’un cran pour éviter la rupture ; en France au contraire, nul frein, mais des blocs énormes en travers de la route, et, comme nous courons tête baissée sans nous soucier de l’obstacle, nous nous y brisons. N’est-ce pas ce qui venait précisément de se passer ?

A travers la confusion universelle, dans cet effarement de tous les partis, dans la cohue des systèmes, sous l’enthousiasme aveugle ou simulé qui éclate partout, Lewis discerne très bien ce qui rend la situation tout à fait mauvaise. Ce n’est point l’inondation de sottises, suite ordinaire de toute révolution, c’est le scepticisme politique du plus grand nombre ; il voit, malgré l’ardeur des partis, trop de gens, dominés par des préoccupations secondaires, oublier qu’une forme de gouvernement quelconque, acceptée avec franchise ou voulue avec résolution, est la protection la plus sûre. « Si l’on voulait, écrit-il, sérieusement des institutions républicaines, il y aurait plus de chance de rétablir l’ordre et la sécurité. » C’est là une vue profonde ; je la recommande à ceux qui, sous couleur d’aller, comme ils disent, au fond des choses et de ne s’attacher qu’à l’essentiel, déclarent faire bon marché de la forme, et qui seraient tentés de vouloir attirer Lewis de leur côté à titre de sceptique. Certes il est absurde de croire que telle ou telle forme ait une efficacité absolue,