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la grande rébellion finirait par l’exécution du roi. Pendant que Charles II était en exil, personne ne s’attendait à une restauration. Pendant que Napoléon était au point culminant de sa puissance, personne ne s’attendait à son renversement, et, lorsqu’il était à l’île d’Elbe, on ne comptait pas qu’il redeviendrait empereur. La révolution française elle-même fut, on n’en peut douter, une surprise complète, universelle, aussi bien pour la France que pour le reste de l’Europe ; tout le monde croyait la vieille monarchie française assise sur une base inébranlable. » En effet, l’opinion commune ne va guère au-delà de ce qui existe, et incline volontiers à le considérer comme éternel ; il lui répugne de s’arrêter à l’idée de changement, qui touche de trop près à celle de perturbation. Il est également vrai que la trame de l’histoire se compose d’imprévu ; le détail et l’issue des crises historiques échappent à toute prévision, et personne, à moins de se donner pour sorcier, ne s’avisera de les décrire d’avance. En est-il de même lorsqu’il s’agit seulement de ce que ces événemens ont de plus général ? On ne prévoyait pas, il est vrai, Luther, Cromwell et Robespierre ; mais il n’était nullement impossible de prédire avec une assurance légitime que la politique de l’église romaine finirait par amener la rupture de l’unité catholique, que celle des Stuarts préparait une révolution et que le règne des puritains ne serait pas éternel, — que la société française au XVIIIe siècle recelait les matériaux d’une terrible explosion, que l’œuvre impossible conçue et poursuivie par Napoléon Ier était condamnée à un inévitable écroulement. En fait, et sans parler des prophètes intéressés chez qui le désir engendre l’illusion ou supplée la prévoyance, il est sûr que ces événemens n’ont été rien moins qu’imprévus ; mais devant la chute d’un régime en pleine santé apparente, comme celui qui venait d’être emporté en 1848, quelque étonnement était bien permis. On pouvait bien admettre au moins que l’accident a place dans l’histoire, sauf à l’expliquer après coup par des raisons qui, du reste, ne manquent jamais, et entre lesquelles on n’a que l’embarras du choix. Le dirai-je ? le peu de surprise de Lewis à la nouvelle de la catastrophe me paraît tenir à une secrète prévention ; je me l’explique par le jugement plus que sévère sur la politique du roi Louis-Philippe qu’il répète à plusieurs reprises, et qu’il donne pour l’opinion générale en Angleterre.

L’histoire philosophiquement étudiée est, dans les temps d’agitation où l’extravagance et la peur sont une contagion, le plus sûr des préservatifs. Elle aguerrit contre les excès de la sottise humaine, et ne laisse point de place aux émotions qui troublent l’esprit. Lewis est, par caractère et par raison, contraire aux