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fastidieuse, vu la longueur et le nombre des notes. Ma critique est purement négative, je n’établis pas de système. Un de mes objets est de montrer que les théories reconstructives de Niebuhr sont tout aussi insoutenables que les fables qu’il écarte. » Et en effet il établit que l’histoire de Rome jusqu’à Pyrrhus est une énigme, dont le mot restera peut-être à jamais introuvable. Rayer ainsi quatre ou cinq siècles de prétendues certitudes est un courage que beaucoup de gens ne lui pardonneront pas facilement. Il ne lui en fallut pas moins pour concevoir son Essai sur l’astronomie des anciens. Il s’attaque cette fois à une classe de savans qui se maltraitent assez volontiers entre eux, mais qui ne souffrent pas l’immixtion des profanes dans leurs querelles, et les profanes sont à peu près tout le monde. « Il m’a semblé, dit-il, que les égyptologues et les interprètes des caractères cunéiformes prenaient des libertés excessives avec la crédulité publique, et qu’il était grand temps d’y mettre un terme. Je souhaiterais que cette tâche eût tenté quelqu’un de moins occupé et de plus versé dans les langues de l’Orient. » En voulant couper court à des fantaisies qui ont, il est vrai, troublé bien des têtes, n’excède-t-il pas les limites d’un scepticisme légitime ? Quoiqu’il eût étudié le sanscrit, il était plus philologue que linguiste. La précision des langues anciennes, de l’antiquité classique, intéressante et instructive jusque dans ses erreurs, le prévenait contre les rêveries orientales. D’ailleurs le doute est de sa nature envahissant, et finit quelquefois chez les plus forts par renverser toutes les digues. En 1858, Lewis annonce à M. Head qu’il a le projet de prouver, dans un essai, que les efforts des Allemands, pour expliquer les Tables eugubiennes et autres inscriptions d’Italie en langues inconnues sont vains et téméraires. Cet essai parut en 1861 : c’est une plaisanterie dont l’idée n’est pas nouvelle, et rappelle un tour joué, dit-on, à Champollion par ses élèves. Lewis imagine de traiter suivant la méthode interprétative des épigraphistes une prétendue. inscription en un idiome inconnu[1], et il charge Mme Austin, qui

  1. Inscriptio antiqua in agra Bruttio nuper reporta, edidit et interpretatus est Johanncs Brownius. — Voici cette inscription :
    HEYDIDDLEDIDDLE
    THECATANDTHEFIDDLE.
    THECOUIUMPEDOVERTHEMOON
    THELITTLEDOGLAUGHED
    TOSEESICHFINESPORT
    ANDTHEDISHRANAUAYUITHTHESPOON
    Il n’est pas nécessaire de savoir beaucoup d’anglais pour déchiffrer ces cinq lignes. Elles ne sont autre chose qu’une chanson de nourrice très répandue en Angleterre et en Écosse.