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De Gênes, da Parga, de Malte, sans parler du mauvais souvenir laissé par la connivence de Nelson, avec la réaction napolitaine en 1799. En montrant une fois, par des effets sérieux, son esprit de justice, l’Angleterre pouvait réparer cela et faire prévaloir son ascendant autrement que par la force. C’est dans cette pensée que les commissaires proposèrent d’importantes réformes dans L’administration de la justice, le système des taxes, les règlemens relatifs à l’éducation, à la presse, à la police ; elles furent acceptées et de cette époque date pour Malte une ère nouvelle. C’était assez pour qu’en revenant en Angleterre Lewis oubliât sans peine dix-huit mois de fatigue et beaucoup d’ennuis.

Pendant cette longue absence, le savant n’avait pas chômé. Lewis est un excellent ménager du temps, il sait utiliser jusqu’aux plus courts intervalles, les minutes, en jetant sur le papier des notes rapides qu’il retrouve ensuite, les heures, en se livrant, à des lectures méthodiques. Lorsque les livres et le papier lui manquent en voyage, dans la carriole du vetturino, dans le salon d’attente du médecin, sa mémoire contient une bibliothèque qu’il passe incessamment en revue : un soir, par exemple, sur une route d’Italie, il récite à son père une partie de l’Enéide. De tels hommes n’ont pas besoin de distractions, et Lewis professait la maxime que, à tout prendre, la vie serait supportable, si on en ôtait les plaisirs. Nous suivons dans ses lettres les recherches variées où les nécessités imprévues de ses travaux l’entraînent tour à tour ; elles nous montrent le philologue, l’helléniste, le logicien, l’historien, le publiciste ; on y devine même le mathématicien exercé. Parmi ses correspondans les plus intimes sont ceux avec lesquels il peut revenir toujours sur le thème favori des questions littéraires : c’est M. Head, un de ses camarades d’Oxford, devenu plus, tard gouverneur du New-Brunswick, puis du Canada ; c’est M. Grote, l’historien de la Grèce ; ce sont de savans hommes tels que M. Twisleton, M. Freeman, etc. Il discute avec celui-ci une inscription ancienne, avec celui-là, un point de la chronologie biblique, avec un troisième la signification précise d’un mot grec ou l’étymologie d’un idiotisme anglais ; à tous, il fournit de précieuses indications : il procure à son frère les matériaux d’un curieux travail sur les jardins des anciens, il esquisse à M. Grote le plan d’une continuation de son histoire à partir d’Alexandre ; sur tous ces sujets, il a des vues neuves et une érudition toujours précise. Nous voyons enfin germer la première idée de chacun de ses travaux et nous les suivons jusqu’à leur achèvement.

Il y a plusieurs manières d’aimer les lettres. On peut les aimer, par exemple, à la manière de Cicéron, comme une provision