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revêtent une apparence philosophique. N’est-il pas devenu de mode dans certains cercles en France, après 1852, de tout expliquer, même des accidens historiques dent il était bien facile de signaler les causes prochaines, par les aptitudes ou les inaptitudes supposées de telle ou telle nation européenne, comme si, dans la communauté de besoins et d’idées qui forment proprement la civilisation de l’Europe, il n’était pas absurde d’exclure, au nom de la race, une nation de ce qui est la condition impérieuse de toute société moderne et de ce qui est le droit humain lui-même ? Lewis s’est prononcé plus d’une fois contre ces explications ambitieuses, auxquelles certains esprits, — qui prétendent pourtant à la philosophie, — se sont laissé induire, et je ne puis lire, je l’avoue, sans un sentiment de reconnaissance, d’admiration même, en pensant qu’elles sont d’un Anglais, ces lignes d’un essai de Lewis écrit en 1854 : « On s’est beaucoup étonné de l’insuccès du gouvernement parlementaire dans les expériences que les états continentaux viennent de tenter, et on a même avancé que la race anglo-saxonne est la seule qui soit faite pour des institutions libres, les gouvernemens républicains de l’antiquité et du moyen âge, qui, quels qu’un fussent les défauts, étaient les meilleurs gouvernemens de leur temps, prouvent qu’un gouvernement libre n’est pas le monopole d’une race privilégiée, et l’insuccès des dernières tentatives peut, se nous semble, fort bien s’expliquer par la négligence de ces précautions dont une étude intelligente de notre histoire durant le règne de George III est surtout de nature à suggérer l’idée. »

Au mois d’août 1836, lord Glenelg, secrétaire des colonies, lui proposa de se rendre en qualité de commissaire, avec M. Austin, à Malte, où le mécontentement était parvenu au comble sous une administration pleine d’abus. Il s’agissait de remonter aux causes du désordre et de proposer des remèdes. Lewis connaissait de longue date M. Justin, esprit large, jurisconsulte éminent, dont il avait suivi les leçons de droit en 1830, à l’université de Londres, avec John Romilly, J. Stuart Mill et autres jeunes hommes devenus plus tard célèbres dans divers genres. Il partageait la plupart de ses idées, et avait pour lui autant de sympathie que de respect. Il connaissait aussi Mme Austin, qui devait accompagner son mari, personne du caractère le plus aimable, intelligence d’élite, qui a donné plusieurs traductions estimées du français et de l’allemand, notamment l’Histoire des papes pendant les trois derniers siècles, de Léopold Ranke. C’était pour Lewis une compagnie séduisante ; après quelque hésitation, il accepta. — les commissaires abordèrent le 20 octobre au lazaret de La Valette. A leur arrivée, la population maltaise, avec son entraînement méridional, s’abandonna aux plus grandes illusions, Elle s’imagina qu’ils venaient en législateurs,