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associé de prendre la direction. S’ils l’obtiennent, ils me feront à ce théâtre une position. » Oh ! ces lettres ! comme elles vous gâtent le musicien que vous aimiez ! Pourquoi les avoir publiées ? C’eût été si facile de ne pas écrire ce livre, qui d’ailleurs, sous aucun rapport, n’était à faire, l’homme n’ayant aucun avantage à être connu, et le compositeur étant de ceux qui ne sauraient se prêter à l’annotation ni au commentaire. Il y a de ces œuvres auxquelles suffit le feuilleton de la semaine, et qui n’en sont pour cela pas moins charmantes. A quoi bon se donner tant de peine pour nous faire prendre en aversion cet honnête Grisar, lorsque Gilles ravisseur et Monsieur Pantalon sont encore là, vivant, chantant, et répondant à qui les interroge ?

Aussi bien, en fait de musique, il n’en est qu’une que la France veuille entendre à l’heure actuelle. La Marseillaise est partout ; les régimens qui passent la jettent aux échos des faubourgs, qui la répètent avec enthousiasme ; dans les jardins publics, elle est l’attraction de la fête, et, sur les théâtres, la pièce représentée ne vient là que pour lui servir d’encadrement. L’Opéra se traînait péniblement à travers des recettes fâcheuses à décrire et plus fâcheuses encore à encaisser ; le Freyschütz et Coppélia n’exerçaient plus aucune influence, Robert lui-même avait perdu ses droits ; mais voici que tout à coup on affiche la Muette, et sur-le-champ la foule a compris. La Muette, c’est un duo : « Amour sacré de la patrie. » C’est un finale qui se termine par un appel aux armes, précédé par la prière d’un peuple agenouillé devant le Très-Haut. C’est aussi peut-être — qui sait ? — la Marseillaise, chantée par Marie Sass ! On ne l’annonce pas, donc elle y sera. Personne, comme le public de Paris ne s’entend à lire dans les interlignes ; plus les mots sont couverts, mieux il comprend. Aussi quelle affluence, quelle émotion, quels trépignemens, quelles acclamations indescriptibles ! Le répertoire de l’Opéra, si varié, si magnifique, possède en fonds deux ouvrages qui, en dehors de leur virtualité musicale, ont cet admirable privilège de pouvoir répondre aux plus hautes aspirations du patriotisme. Si l’Opéra voulait, dans quinze jours il en aurait trois, car il ne tiendrait qu’à lui de joindre la Vestale à la Muette et à Guillaume Tell. Qu’est-ce en effet que le chef d’œuvre de Spontini, sinon l’apothéose de la France et de ses victoires, dont les Romains ne sont que les représentans allégoriques ? Rappelons-nous le fameux chant de Licinius au moment du triomphe, et pensons à la sensation que produirait aujourd’hui devant un auditoire comme, le nôtre un morceau comme celui-ci :

Mars a guidé nos pas aux champs de la victoire.
Nos étendards sont triomphans.
Les Romains sont encor les entons de la gloire,
L’honneur des nations et l’effroi des tyrans.

Quelle belle chose pourtant que le génie, et combien Lamartine avait raison de le mettre au nombre des vertus ! Voilà deux ouvrages, la