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étonné de cette musique, cela a une couleur étonnante, et c’est en scène étonnamment, vous verrez ! J’avais laissé à Naples ma musique ; mais je m’en souvenais et je l’ai récrite de mémoire, en la rendant bien meilleure ; enfin je vous répète que cela peut devenir un chef-d’œuvre, et je ne crois pas me tromper. » Et plus tard après le succès du Chien du jardinier (2 février 1855) : « On attend de moi énormément dans ce moment-ci, et on a raison ; je me sens fort, quoique un peu fatigué, car depuis quatre ans j’ai produit les Porcherons, Pantalon, le Carillonneur et le Chien du jardinier, et c’est bien de la musique. » L’artiste ne se manifeste dans ces lettres que par les continuels besoins d’argent et des exclamations de vanité dont le naïf vous réjouit l’âme. « Quant à l’Opéra-Comique, on s’occupe du Joaillier de Saint- James, et Labiche, chargé de remanier les trois actes du Parapluie, a trouvé des choses hors ligne comme haut comique, dignes de ma musique ; c’est pour moi un succès assuré, splendide, car la musique du Parapluie est d’un goût exquis en même temps que d’un comique à se tenir le ventre. » Même histoire pour ce Riquet à la houppe, que M. de Flotow se serait chargé de parachever, ce qui ne sera pas mince besogne, s’il faut en croire ce que dit Grisar : « J’ai mis sur ses pieds Riquet ; je n’ai jamais rien fait de pareil, de plus complet, de plus varié ; je crois que tout y est, et que je puis m’attendre à un succès qui dépassera beaucoup ceux que j’ai obtenus jusqu’ici ; la musique en est plus que belle. » Et qu’où ne pense pas que ce modeste génie borne ses prétentions au genre bouffe, — qu’il cultive après tout avec une distinction faite pour excuser bien des torts, — non certes ; s’il excelle dans le comique, c’est en attendant mieux. « Hier au soir, à l’Opéra-Comique, Pasdeloup m’a demandé quelque chose pour ses concerts ; on y joue Beethoven, Mozart et les grands maîtres ; il a un orchestre excellent et les chœurs du Conservatoire. Je lui ai parlé d’un Salve Regina dont je vous ai écrit de Naples, il a bondi de joie, et doit venir me voir ces jours-ci pour en causer ; je n’hésite pas à vous dire que ce Salve Regina est sublime ; c’est hardi, mais je crois que cela est, et que cela sera, si je puis avoir le recueillement nécessaire pour l’orchestrer comme il faut. Je suis sûr que dans toute l’Allemagne et dans toute l’Italie ce morceau serait exécuté dans les festivals, et j’en ai bien d’autres comme ça dans mes tiroirs. » Le bon Viennet disait : « Il y a en poésie cinq genres : la tragédie, la comédie, l’ode, la poésie légère et la fable, où j’excelle ! » Grisar, lui, excellait dans tout, comme Mozart, et je doute même un peu qu’il eût aimé faire un échange avec Mozart ; ce qu’il y a de certain, c’est qu’avec Meyerbeer il n’y eût jamais consenti, et pourtant Meyerbeer goûtait délicatement sa musique, qui lui semblait du pur Grétry, ce qui n’empêchait pas l’auteur de Gilles ravisseur d’avoir en très médiocre sympathie l’auteur des Huguenots.

Je m’étais souvent demandé quelle pouvait bien être la cause particulière de cet éloignement ; certains passages de la correspondance me