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personnage, tandis que l’orage commence à gronder. C’est dans ce demi-romantisme que la muse du compositeur semble retrouver sa nationalité ; le reste, cette pétulance d’esprit, cet entrain, cette folie dansante, lui viennent de son éducation toute française. Changez les conditions de l’existence, faites du pauvre Schubert un gentilhomme ; placez au sein de la société parisienne ce génie mélodique d’un germanisme si profond, et peu à peu l’accent originel s’effacera, la Belle Meunière, la Religieuse, le Roi des aulnes, la Sérénade, s’en iront en opéras-comiques, et vous n’aurez qu’un Boïeldieu de plus. Qui sait même ce qui serait arrivé, si M. Richard Wagner, alors qu’il battait l’estrade à l’aventure, eût vu s’ouvrir les portes de Favart, et si le moindre succès l’eût accueilli ? M. de Flotow est peut-être le seul homme de la société devenu artiste que le public ait franchement adopté. Cet éloignement instinctif dont tant d’autres noms plus ou moins princiers eurent toujours à souffrir n’a jamais existé pour l’heureux auteur de Martha. Horace pressentait cette musique lorsqu’il mettait au bout de son vers ce dulcia sunto, éternelle excuse des Cimarosa, des Scribe, des Auber et des Flotow, si ce qui nous amuse honnêtement avait jamais besoin d’être excusé. Boïeldieu avec la Dame blanche, Auber avec Fra Diavolo, Adam avec le Postillon de Lonjumeau, Flotow avec Martha, ont procuré à notre pauvre espèce plus d’heures agréables que n’en sauraient donner les chefs-d’œuvre des Olympiens. Honorons les grands ; mais ne dédaignons pas les petits, et souvenons-nous que dans le royaume de l’intelligence il y a plus d’une province : les grands ont pour eux l’expression du sublime, qui est éternel ; les autres ont ce qui charme, ce qui distrait et parle aux sens. Je veux bien croire que les maîtres chanteurs de Nuremberg et la Walkyrie soient le dernier terme de l’art, je mets cependant une condition à mon acte de foi, une seule, c’est que M. Richard Wagner suspendra son œuvre des sept jours seulement pendant un quart d’heure, le temps d’écrire le quatuor de Martha ou les vingt premières mesures de l’ouverture des Diamans de la Couronne.

C’est le propre de cette musique de ne point faire appel aux passions esthétiques et de n’avoir simplement pour objet que notre plaisir. Ce but, elle l’atteint et par ses agrémens mélodiques et par le bon ensemble de l’exécution à laquelle le Théâtre-Lyrique en vacance est venu prêter son contingent. La pièce est jouée comme elle pourrait l’être au Gymnase ; on y assiste à la romanesque aventure d’un officier de l’armée des Cévennes qu’on croit mort et qui ne l’est pas. Le capitaine de Rollecourt, condamné pour délit militaire, a été bel et bien passé par les armes et ne s’en porte que mieux, grâce aux mesures conservatrices d’un ami qui a sagement fait enlever les balles des mousquets. Sauver le beau militaire se retire dans un coin de la montagne, et là, nous le voyons couler des jours sans nuages entre une jeune veuve fort accorte, son hôtesse, qui ne demanderait qu’à l’épouser, et le docteur Antoine