Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 88.djvu/757

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

si elle prend parti, elle donne évidemment le signal à l’Autriche, peut-être aussi parce qu’elle n’est rien moins que prête pour entrer dans cette guerre. Elle ne s’engagerait sans doute que si elle voyait une occasion favorable de reprendre son chemin vers l’Orient ; mais alors Russie et Prusse rencontreraient probablement devant elles la coalition de l’Europe tout entière. L’Espagne, après avoir mis le feu, a eu le bon sens de se retirer de l’incendie en reprenant son altitude naturelle de bonne amitié envers la France. Quant à l’Angleterre, elle a été évidemment mécontente et froissée de cette explosion ; elle a fait ce qu’elle a pu pour l’empêcher. Lord Granville à Londres, lord Lyons à Paris, ont multiplié les efforts jusqu’à la dernière heure ; ils n’ont pas réussi, et, en dehors même de toute considération d’humanité, c’est toujours pour l’Angleterre une déception de ne pouvoir empêcher une guerre dont ses intérêts ont nécessairement à souffrir. Ce sentiment d’amertume, on ne peut le nier, il s’est produit plus vivement dans le peuple anglais que dans le gouvernement, et les journaux ont exprimé ce sentiment avec la liberté et l’âpreté dont ils usent quelquefois. Au fond cependant la neutralité de l’Angleterre, promulguée par une déclaration de la reine, ne peut qu’être bienveillante pour la France. Beaucoup des intérêts que nous défendons, que nous aurons à sauvegarder, sont des intérêts chers à l’Angleterre aussi bien qu’à la France. D’un autre côté, les rapports commerciaux qui unissent les deux pays ont pris assez d’extension et de puissance pour qu’il ne soit pas facile désormais d’ébranler cette entente de tous les jours qui est devenue une heureuse habitude. Par le fait, la neutralité de l’Angleterre, telle qu’elle a été expliquée par lord Granville dans le parlement, n’est point une faiblesse pour nous, elle est plutôt une garantie. Ainsi au moment où s’engage ce duel redoutable entre la France et la Prusse, toutes les situations se dessinent. Parmi ces neutralités qui s’affirment, les unes sont secrètement sympathiques, les autres, sans être malveillantes, sont plus froides ; toutes sont d’accord pour éviter de compliquer cette guerre que rien n’a pu prévenir.

Et maintenant qu’elle aille combattre, cette armée gardienne et messagère des destinées de la France qu’un mouvement irrésistible a emportée de toutes les parties du pays vers le Rhin. Assurément, en ces quelques jours une prodigieuse activité a été déployée : une masse immense a été jetée aux frontières avec tous ses moyens de guerre, son artillerie, ses munitions, ses vivres, et tout cela s’est accompli, sous l’intelligente impulsion du maréchal Le Bœuf, avec une sorte de régularité foudroyante, avec un ordre singulier dans l’impétuosité. Nous les avons vus partir, ces bataillons, la nuit, le jour, leur drapeau mutilé en tête, au milieu d’une population frémissante, et ce qui était fait pour frapper, ce n’était pas cette effervescence populaire qui depuis deux ou trois semaines remplit nos rues, qui n’est pas toujours sérieuse ; c’était l’atti-