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anglaise, qui ne s’est pas encore décidée à prendre la voie de l’isthme, n’amène plus à Alexandrie qu’un très petit nombre de voyageurs.

De l’ensemble de ces faits il résulte que la France n’a qu’un intérêt médiocre dans les affaires de Chine. Elle a plutôt consulté sa dignité que son avantage lorsqu’elle a dirigé des expéditions armées contre cet empire. Elle a voulu tenir son rang à côté de l’Angleterre dans cette partie du monde, et y contre-balancer l’influence de nos voisins par la démonstration de sa puissance. Cette manifestation était-elle nécessaire ? Nullement, à notre avis, car les États-Unis, sans y prendre part, ont obtenu les mêmes avantages et ne sont pas descendus dans l’estime générale. Nous avions, dit-on, un autre prétexte, ou, si l’on veut, un autre motif : la protection des missionnaires voués à la persécution. On peut avoir pour ces hommes dévoués de l’estime et même quelquefois de l’admiration ; mais ce n’est pas une raison d’engager notre politique dans leur apostolat, Ils peuvent en effet nous mener fort loin. Nous n’avons aucun contrôle sur leurs actes, qui, au point de vue religieux, ne relèvent que de leur conscience et des ordres de l’église. Essayons d’intervenir pour limiter leur zèle, et nos remontrances ne seront certainement pas écoutées. Or on ne doit accepter de responsabilité que dans les bornes de l’autorité qu’on exerce, et il est certainement plus sage de laisser les missionnaires à leur inspiration, même à tous risques, que de s’engager aies soutenir dans une conduite qui pourrait n’avoir ni notre autorisation ni notre assentiment.

Si donc à l’avenir nous nous bornons à maintenir sans exagération comme sans faiblesse les stipulations qui figurent dans les traités en faveur du libre exercice du christianisme, si nous ne fatiguons pas le gouvernement chinois de réclamations à propos de chaque incident, de chaque personne et de chaque paroisse, si nos missionnaires, tout en restant assurés qu’ils peuvent compter sur la sympathie de la France et sur la bienveillance de nos agens, savent que nous ne sommes point disposés à intervenir continuellement pour venger des injures qu’ils s’attirent trop souvent par leurs imprudences, nous éviterons probablement d’irriter la population de l’empire, nous ne verrons pas le renouvellement de catastrophes comme celle de Tien-tsin, et nous trouverons toujours le gouvernement chinois prêt à nous donner satisfaction.


PAUL MERRUAU.