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ont su résister à des navires de guerre. Ils menaçaient donc toujours le commerce, surtout à l’époque dont nous parlons ; leur hardiesse était telle, leurs déprédations étaient si fréquentes, qu’ils créaient de sérieux obstacles à la navigation. Le prince Kong avait un moment conçu le projet d’acheter une flottille en Angleterre, et de la faire monter par des équipages européens sous les ordres d’officiers de la marine anglaise. La transaction avait été faite en Angleterre, et l’envoyé du gouvernement chinois, M. Lay, l’inspecteur général des douanes, avait obtenu le concours d’un officier de mérite, M. Osborne. Sa petite escadre partit d’Angleterre et jeta l’ancre à Shang-haï ; mais dans l’intervalle, le sentiment de fierté dont nous avons signalé la recrudescence dans le gouvernement était devenu si prononcé, qu’a peine arrivée, la flottille fut désarmée, et le capitaine Osborne remercié de ses services.

Cependant le prince Kong a réussi, au bout de quelques années, à créer des arsenaux en Chine, à y construire des chaloupes canonnières et autres navires de guerre sous la direction de marins français et anglais, de telle sorte que maintenant la Chine se trouve dotée de bons bâtimens de combat, qui lui permettront, sinon de détruire la piraterie, du moins de la tenir en respect. Pour les chemins de fer, il a été jusqu’à présent inutile d’en parler aux mandarins. Les Européens n’ont à leur avis que trop de facilité à pénétrer dans l’intérieur de l’empire, et on n’admet pas encore à Pékin l’utilité d’adopter ce moyen d’abréger les distances. Malgré ces restrictions, le commerce étranger prend chaque jour des proportions plus grandes.

Le terrain est bien préparé. L’esprit des populations est généralement favorable. Au moment de la guerre, une flottille anglaise ayant remonté le Yang-tse-kiang, on demanda dans toutes les villes aux officiers et marins : « Qu’avez-vous à vendre ? que voulez-vous acheter ? « Les dernières pages de cette étude diront quel parti la France et l’Angleterre ont tiré de ces bonnes dispositions, chacune selon son caractère ou son génie.

Mais nous pouvons dès à présent rendre au prince Kong la justice qu’il mérite ; son administration prudente et éclairée a pacifié l’empire, amélioré ses revenus. Il a fait sortir la Chine de son isolement, il a reconnu et constaté devant ses concitoyens l’existence d’empires puissans et riches autres que l’empire du milieu, il a conformé sa politique à la nécessité de traiter les étrangers, non en tributaires comme auparavant, mais en amis indépendans et forts. C’est beaucoup, et, si l’on tient compte des rivalités et des préjugés qu’il a dû combattre, si l’on songe à la force d’inertie que lui ont opposée l’ignorance et l’orgueil chinois, à la difficulté de réformer des abus séculaires défendus par de puissans intérêts, on reste