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guenilles, des mandarins vêtus de soie et de velours, le souverain et les impératrices simplement habillés, le jaune dominant partout. Le tombeau de Hien-foung a coûté, avons-nous dit, 30 millions. Ce faste après la mort n’est pas inconnu, et rappelle les pyramides. Le corps y fut déposé le 10 novembre, et la cour était rentrée à Pékin le 13 du même mois. Deux incidens signalèrent cette fête funèbre. Un mandarin fut condamné à mort pour avoir omis de dire que le jour de l’enterrement n’était pas un jour propice. Deux princes, reconnus coupables d’avoir détourné une partie des fonds destinés au monument, subirent le même sort.

Aussitôt après son retour à Pékin, l’empereur Tong-tche prononça le renvoi du ministère de résistance et le rétablissement du prince Kong dans ses titres et dignités. Celui-ci redevint président du conseil de l’empire et ministre dirigeant. Il était temps du reste de changer de politique, car le représentant du gouvernement britannique, sir Rutherford-Alcock, était en route pour prendre possession de son poste à Pékin. Avant son arrivée, les pensées d’orgueil avaient pu prévaloir, elles s’évanouissaient à son approche. Dans le cours de son voyage en Chine, le nouveau ministre plénipotentiaire n’avait pu s’arrêter nulle part sans recevoir les réclamations et les propositions des commerçans et des industriels. Les uns demandaient une nouvelle révision des traités dans le but d’abaisser les tarifs, les autres rétamaient le libre parcours de toutes les routes, la libre entrée dans toutes les villes, l’établissement de consuls anglais dans tous les centres commerciaux ; d’autres désiraient obtenir la concession de chemins de fer, de lignes télégraphiques ; les officiers proposaient la réorganisation des corps indigènes sous leurs ordres ; tous, militaires et civils, réclamaient énergiquement la répression de la piraterie sur le littoral et les fleuves. Le ministre anglais arriva dans la capitale du Céleste-Empire après avoir fait naufrage, perdu son argent et ses effets, manqué lui-même de se noyer.

Il obtint la révision des tarifs dans un sens plus favorable aux Européens ; mais le prince Kong a refusé jusqu’ici de créer de nouveaux corps de troupes étrangères. Quoique des révoltes partielles aient succédé à la grande rébellion des Taïpings, quoique les révoltés nouveaux aient plus d’une fois pillé les environs de Pékin et menacé la ville même, le prince est resté ferme dans la résolution de ne recourir pour les réprimer qu’aux seules forces nationales. Quant à la piraterie, c’est un autre genre de fléau dont il est impossible de se dissimuler la gravité. Les pirates des mers de Chine sont les bandits les plus audacieux qu’on puisse imaginer. Plus d’un navire européen, monté par un équipage résolu, pourvu d’armes et même d’artillerie, a été capturé par ces brigands, qui