Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 88.djvu/736

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

faisait beaucoup de mal. Le ministère affichait des tendances belliqueuses qui menaçaient de ruiner l’empire. Il construisait des fonderies de canons, il formait des manufactures d’obus, de cartouches, de fusils ordinaires et même d’armes de précision. Sa haine des étrangers se montrait dans tous ses actes. Il annonçait l’intention de congédier les Européens employés à la perception et au contrôle des douanes, et de licencier tous ceux qui étaient attachés au service de la Chine. Des négocians de Canton ayant conçu le projet de construire un chemin de fer de leur résidence au port le plus voisin, leur demande fut refusée par le vice-roi du Kouan-tong, et ils ne purent même la faire parvenir au gouvernement central. Toute proposition d’introduire dans l’empire les « diaboliques inventions » de l’Occident était sévèrement repoussée. Les fils télégraphiques qui traversent le territoire russe s’arrêtent encore à la frontière chinoise, c’est-à-dire à Kiatcha. Tout ce qu’un Anglais entreprenant, M. Grant, put obtenir des mandarins, fut l’organisation d’un service de courriers entre Kiatcha et Tien-tsin, Parvenues à Tien-tsin, les nouvelles télégraphiques ne peuvent arriver à destination que par la voie des steamers, qui les portent dans les principales villes du littoral. Malheureusement ces prohibitions devaient durer plus que le ministère rétrograde. Aujourd’hui encore les télégrammes, qui traversent l’Europe et l’Asie en quelques heures, en mettent douze à franchir la distance de la frontière chinoise à Tien-tsin, et des semaines entières pour aller de Tien-tsin dans les ports du sud. On ne sait où se serait arrêtée cette hostilité, si, comme nous l’avons dit, l’administration tout entière n’avait été dominée par les préparatifs des funérailles de Hien-foung. En Angleterre, on se prépare aux grands événemens par des jours de jeune public. En Chine, c’est aussi par une solennelle expiation que le fils de Hien-foung dut procéder aux cérémonies funéraires et s’associer au deuil général.

L’état venait de subir l’épreuve d’une défaite marquée par la mort de San-ko-lin-sin, tombé dans un combat contre ces bandes qui parcourent encore certaines provinces. Affligé de cette mort et de cet insuccès, le jeune souverain avait encore à gémir d’un fléau, la sécheresse, qui désolait à cette époque le nord de l’empire. Fils du ciel, il était jusqu’à un certain point responsable de l’inclémence céleste, et se sentait humilié d’avoir si peu d’autorité sur les élémens. Il en fit amende honorable devant son peuple. On inséra par ses ordres dans le journal officiel du pays un décret, ou plutôt une confession publique, ou il promettait : « de rectifier sa conduite et de s’occuper plus activement des besoins de son peuple ; il engageait en même temps ses ministres et les autres fonctionnaires à ne plus s’écarter de la voie de la justice et de la vérité, il ordonnait aux magistrats d’adoucir les peines que les lois infligent aux