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sur les Européens en général, et ils finissent par être classés au niveau de quelques mauvais échantillons de leur race. Par bonheur, un peuple intelligent, perspicace, comme les Chinois, a bientôt fait la part de chacun. Tout en constatant que des commerçans européens manquaient parfois de délicatesse, les hauts fonctionnaires ont bien vite reconnu le caractère général de probité qui distingue les administrations européennes, ainsi que leur esprit d’ordre et leur savoir-faire. Ils choisirent donc, pour contrôler le commerce dans les principaux ports accessibles aux Européens, des administrateurs européens. Les douanes furent placées sous la surveillance d’inspecteurs généraux, Français et Anglais.

A Shang-haï, un Anglais, M. Lay, fut investi de ces fonctions, qui lui attirèrent beaucoup d’inimitiés. M. Lay, interprète habile, avait auparavant servi d’intermédiaire aux ministres de sa nation chargés de conclure le traité de Tien-tsin, en 1858. Dans le cours des négociations, il avait constaté la mauvaise foi d’un des commissaires chinois, Ki-ing, que le gouvernement de Pékin avait envoyé pour nous tromper, et qu’il s’empressa de désavouer dès que la ruse eut été découverte. Ki-ing fut condamné au suicide, et sa fin déplorable, imputée à M. Lay, suscita à ce dernier des haines que sa scrupuleuse honnêteté dans le maniement des deniers publics exalta jusqu’au crime. Après un an d’exercice, il fut l’objet d’une tentative d’assassinat.

L’inspectorat des douanes était donc une institution compromise, lorsque le prince Kong devint le chef du gouvernement. Son premier soin fut de sanctionner et de consolider ce service par un décret impérial. Il mit à la charge de l’état les traitemens des fonctionnaires. Ces traitemens furent proportionnés aux services à rendre, c’est-à-dire qu’ils furent très considérables ; mais cette dépense intelligente eut de merveilleux résultats. Les recettes augmentèrent énormément. Aussi l’inspectorat étranger a-t-il résisté depuis lors à toutes les attaques dirigées contre lui soit par la cupidité déçue des mandarins, soit par la haine instinctive qu’ils n’ont jamais cessé d’éprouver pour les Européens, et qui paraît tout à fait indestructible. Ce sentiment, il fallait pourtant le braver pour tenir parole à l’Europe, en protégeant le christianisme. Dans la voie de conciliation où il était entré, le prince Kong comprit la nécessité de nous donner ce nouveau gage.

Il avait beaucoup à faire pour surmonter les résistances de la vieille politique. Depuis l’insurrection des Taïpings, la religion chrétienne était devenue de plus en plus suspecte ; on l’accusait d’avoir des connivences avec la rébellion, on tenait les chrétiens pour des conspirateurs, et, comme ils étaient obligés de dissimuler leur croyance, comme ils ne pouvaient se réunir qu’à la