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Y-Senn-ouang, partageait ses sentimens. Il était le principal ministre de l’empereur et l’un des hommes les plus profondément engagés dans la politique de résistance. Enfin un autre personnage, Mou-yin, ministre de la guerre, complétait la trinité belliqueuse qui dirigeait le gouvernement. Ils avaient ensemble comploté le guet-apens où plusieurs de nos compatriotes et de nos alliés étaient tombés sur la route de Pékin. Le parti contraire avait pour chef un propre frère de l’empereur, le prince Kong. Cet éminent personnage représentait une sorte d’opposition dans le sein même de la famille impériale ; on le tenait à l’écart : son rôle était d’acquérir de la popularité. Lors de la débandade générale déterminée par notre marche victorieuse, l’empereur et les ministres ayant pris la fuite, le prince Kong fut laissé en arrière, comme étant le seul homme qui pût affronter la tourmente. Il reçut de son frère la charge du pouvoir en déshérence.


Tel était l’homme à qui se trouvaient confiées les destinées de l’empire. Sa tâche était toute d’abnégation : subir la loi du vainqueur, et accepter ses conditions en s’efforçant de les faire adoucir le plus possible. Il sut concilier, dans cette mission délicate, la dignité de sa race impériale avec l’humilité du vaincu. Il fut mis à de rudes épreuves. Le jour, par exemple, où le traité avec l’Angleterre devait être signé en présence d’un grand concours de fonctionnaires et d’officiers, le prince attendait lord Elgin dans le palais désigné pour la cérémonie. L’ambassadeur d’Angleterre est annoncé. Le frère de l’empereur s’empresse d’aller à sa rencontre ; mais lord Elgin lui tourne le dos, et pénètre dans la salle de réunion sans lui rendre ses saluts. Il voulait témoigner une dernière fois son horreur du crime commis sur ses compatriotes. Le prince fit preuve d’un vrai dévoûment à la dynastie impériale en dévorant cet affront, qui fut d’ailleurs atténué le lendemain par l’accueil distingué que lui fit le baron Gros lorsque fut signé le traité avec la France.

Aussitôt après le départ des alliés, qui sortirent de Pékin au mois d’octobre de l’année 1860, le prince Kong vit croître les difficultés de sa tâche. Le danger passé, les ambitieux reparurent. Y-Senn-ouang et ses amis reprirent le pouvoir, que l’empereur Hien-foung leur rendit du fond de son exil volontaire en Mandchourie. C’étaient ses flatteurs et ses amis ; leurs fanfaronnades avaient chatouillé son orgueil avant la défaite, leur politique était la sienne, leur impopularité lui semblait suffisamment couverte par la faveur impériale. L’ancien gouvernement fut donc réorganisé par le retour au pouvoir des ministres qui avaient déjà compromis l’empire ; mais on y conserva le prince Kong, en lui donnant la mission spéciale de