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l’européenne, et lui propose simplement d’abandonner impériaux et rebelles pour se tailler, à eux deux, un petit royaume dans l’empire de Chine ; mais Gordon refusa nettement de s’associer à cette entreprise. Il semble, après tant de vicissitudes et d’insuccès, que la carrière de Burgevine dans l’empire du milieu soit bien terminée. En effet le consul des États-Unis, intervenant, oblige l’aventurier à s’embarquer pour l’Amérique. Précaution superflue ! Au bout de quelques semaines, Burgevine était de retour en Chine et se mettait en route pour Pékin, dans l’intention d’y revendiquer une seconde fois son commandement. C’était tenter le sort avec trop d’imprudence. Le gouverneur de Shang-haï le fit poursuivre, arrêter, et, peu de temps après, des porteurs qui le ramenaient en cette ville eurent la maladresse de le laisser tomber avec son palanquin dans une rivière où il se noya.

Tel fut l’un des instrumens que la cour de Pékin avait employés pour dompter les rebelles. Sa vie donne une idée du désordre où la Chine était alors plongée. Le gouvernement ne pouvait trouver dans une population de 500 millions d’hommes une armée capable de défendre le territoire et de le préserver de la dévastation ; il en était réduit à recourir aux étrangers qu’il abhorrait, et, n’ayant avec ces étrangers d’autre lien que l’argent, il ne savait même pas les payer régulièrement. Au sein du brigandage et de la ruine, les gouverneurs de provinces et les agens placés sous leurs ordres n’avaient conservé de leurs fonctions que la facilité de voler l’état. Ils en usaient avec d’autant plus d’ardeur, que les succès de la révolte rendaient leur pouvoir plus précaire. L’effronterie des malversations était inouie. Ainsi l’on vit après la prise de Nankin un mandarin de haut rang s’approprier sans autre prétexte ni formalité le sceau d’or massif dont s’était servi le chef des Taïpings.

Quoi qu’il en soit, l’impulsion donnée par les négocians de Shang-haï avec l’aide de la France et de l’Angleterre fit échec à la rébellion, arrêta la marche des révoltés et leur causa défaites sur défaites. Non-seulement les comptoirs européens furent préservés, mais toutes les places occupées par l’insurrection furent successivement reprises. Les Européens cependant, dans cette lutte, éprouvèrent des pertes sensibles. L’amiral Hope, qui conduisait les bataillons anglais, fut dangereusement blessé, et l’amiral Protêt fut tué à la tête des marins français sous les murs d’une forteresse assiégée.

L’armée des Taïpings était composée de deux sortes de gens : d’une part, les pirates de la côte, auxquels se joignaient les montagnards du Kiang-si descendus de leurs hautes et misérables terres dès l’origine de la révolte pour s’établir en maîtres dans les grasses