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Une véritable armée fut organisée, où entrèrent d’abord les négocians eux-mêmes, qui s’armèrent en volontaires, puis des officiers et des matelots anglais et français débarqués des bâtimens en station. De leur côté, les mandarins secondèrent ce mouvement, en autorisant la formation de corps de troupes chinoises, dont l’instruction fut confiée à des officiers et sous-officiers européens, En Chine, on ne fait aucun cas de la gloire militaire, nul ne s’y enorgueillit du métier des armes, on n’y sait guère ce que veut dire le mot honneur. Le devoir et la vertu sont des choses dont on parle, mais qui n’entrent pas dans la pratique ordinaire de la vie. Il n’y a pas de peuple plus sceptique, il n’y en a pas de plus indifférent en matière de religion, ni de plus ignorant du mérite de ce qu’on nomme dévoûment et sacrifice. Eh bien ! la discipline fit ce miracle, qu’elle transforma même les Chinois en soldats sachant braver la mort et aborder franchement l’ennemi. Enfin la nécessité fit accepter par la cour de Pékin un autre élément de défense. Les gouverneurs des provinces enrôlaient des aventuriers de toute nation séduits par la promesse d’une solde élevée. Avec des marins déserteurs, des commerçans ruinés, des industriels ou plutôt des chevaliers d’industrie, des déclassés de toute profession, on forma des régimens. Leurs actes de bravoure et d’indiscipline, les traits d’audace de leurs officiers, sont un des épisodes les plus curieux de cette guerre. Ils eurent deux chefs, deux Américains d’un caractère également aventureux, d’une témérité sans bornes. Ces deux chefs s’appelaient, l’un Vard, et l’autre Burgevine. Tous deux sont morts, Vard d’une blessure reçue en combattant, Burgevine dans des circonstances qu’il n’est pas hors de propos de faire connaître.

D’où venait Burgevine quand il prit le commandement des étrangers au service de la cour de Pékin ? On l’ignore. C’était probablement une épave de quelque naufrage industriel. Il avait servi sous les ordres de Vard, et il possédait la confiance de sa troupe quand il lui succéda. Sans perdre de temps, Burgevine conduisit ses hommes devant les fortifications d’une ville appelée Pao-kong et enleva la place d’une manière brillante ; mais son courage fut enchaîné par une circonstance imprévue. Les mandarins, endormis dans le succès, retombant dans leurs habitudes de malversations, oublièrent obstinément de payer leurs mercenaires, et ceux-ci menaçaient de se mutiner. Il n’y avait de patriotisme ni d’un côté ni de l’autre. Les troupes étrangères ne pouvaient consulter que leur intérêt, et les Chinois, peuple ou gouvernement, n’ont jamais d’autre mobile. Burgevine réclama avec fermeté la solde de ses troupes. Le gouverneur de la province, avec non moins de fermeté, continua d’ajourner ce paiement. Las d’attendre, Burgevine prit le parti de