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d’opter entre une faible diminution des droits sur le sucre et le thé en même temps et une diminution plus forte sur l’un ou sur l’autre. « C’est, je crois, la première fois, disait-il avec une finesse qui cachait sous la légèreté de la forme une vérité importante, dans l’histoire de la législation qu’on voit ces deux articles en rivalité hostile ; la nature semble avoir prescrit entre eux une alliance dont nous apprécions chaque jour les bienfaits, et je regrette de me voir condamné à rompre cette union, quoique seulement en apparence et pour peu de temps. J’ai d’ailleurs cette consolation que tout avantage fait à l’un des deux profite immédiatement à l’autre, car la vieille alliance qui existe entre eux nous assure que toute réduction de droits sur le sucre doit augmenter aussitôt la consommation du thé, toute réduction sur le thé entraîner une plus large demande de sucre. » Puis, par un procédé oratoire qui ne manquait pas non plus d’éloquence, il montrait à la chambre deux petits paquets de thé pour lui donner une idée des effets de la diminution qu’il proposait et de la quantité que le peuple aurait pour le même prix.

Je demanderais grâce pour ces détails, s’ils ne révélaient tout l’esprit du financier dont les budgets étaient attendus avec impatience et salués presque toujours avec acclamation. L’écho de ces applaudissemens excita jusqu’à la curiosité du prince Alfred et du prince Louis de Hesse. Ils assistèrent à l’exposé du budget de 1863, un peu étonnés de voir applaudir avec tant de passion des additions et des soustractions ; ils n’eurent pas la patience de rester jusqu’à la fin. Au fait, ce n’est pas eux que cette arithmétique touchait le plus ; mais elle était une fête au cœur de ceux qui appellent une politique humaine, inspirée par le bon sens et l’équité. Plus de protection qui soit une faveur pour quelques-uns et un fardeau pour le grand nombre, plus d’embûches fiscales, plus d’autre considération que celle d’un travail abondant et justement rémunéré, garanti par la liberté des échanges, plus d’autre pensée que celle de l’accroissement de la consommation générale favorisé par la diminution des droits : voilà les idées que M. Gladstone a suivies, et qui, aujourd’hui triomphantes, s’imposent à ses successeurs. En embrassant du regard le chemin parcouru depuis son entrée dans la vie publique et en comparant avec l’Angleterre de sa jeunesse l’Angleterre telle que l’a faite l’application de ces principes, M. Gladstone a pu s’abandonner plus d’une fois à exprimer une satisfaction bien légitime. « L’Angleterre est une Australie, » s’écriait ironiquement sir John Packington à l’occasion d’un de ces tableaux des progrès accomplis par une politique qui n’est pas celle de son parti. Non, l’Angleterre n’est pas la terre de l’or et des fortunes improvisées ; c’est une vieille nation, qui a ses misères et ses inégalités criantes, mais qui se les avoue et qui travaille avec circonspection, avec