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chacun de nous compte un fils ou un frère, des amis dévoués, il ne suffit pas à un grand état, exposé par sa situation à faire la guerre, de l’avoir bien constitué dans ses diverses parties. Pour que l’armée rende les services qu’on en attend, il faut, après l’avoir formée, la conserver, et c’est ici qu’apparaissent des difficultés peu communes. Quand je dis conserver l’armée, je n’entends pas, et le lecteur l’a bien compris, le fait de garantir du fer et du feu les hommes et les corps qui la composent. Le fer et le feu sont un danger inhérent à la guerre même, et dont toute la première une brave armée comme l’armée française prend résolument son parti. Bien plus, avant les armes nouvelles dont l’expérience est loin d’être complètement faite, ce danger n’était pas destructeur jusqu’à la désorganisation, si ce n’est dans certaines batailles exceptionnellement désastreuses pour le vaincu. En s’en tenant à ce que constate le passé, on est fondé à dire qu’une bonne armée peut, lorsqu’une bataille est malheureuse, éprouver de grosses pertes, qu’elle en fait de telles souvent, alors même qu’elle est couronnée par la victoire, mais qu’elle y survit dans son organisation et sa masse. Les recrues viennent remplir les rangs éclaircis, et, si le commandement et les cadres sont bons, si les soins n’ont pas manqué, si les approvisionnemens abondent, à peu de temps de là il n’y paraît guère. Ce qui démolit les armées, ce qui fait qu’elles sont sujettes à se fondre comme la neige au soleil, c’est qu’elles sont soumises à des causes de destruction bien plus funestes que celles qui agissent sur les champs de bataille.

Il y a longtemps qu’on avait remarqué la rapidité avec laquelle disparaissaient, en s’effondrant pour ainsi dire sur elles-mêmes, des armées qui étaient superbes au début d’une campagne. Depuis que les idées démocratiques ont pénétré dans les mœurs publiques sous cette forme, acceptée de tous en principe, que c’est une obligation étroite pour le gouvernement et pour la société de veiller aux intérêts des populations, les esprits ont été plus fortement saisis qu’auparavant de cette observation déjà ancienne, que les ravages commis dans la guerre par le fer et par le feu, quelque cruels qu’ils soient, ne sont que secondaires en comparaison de ceux qui proviennent des maladies. Les hommes portés aux améliorations publiques se sont livrés à des recherches que dans plusieurs des grands états, notamment en France, l’administration elle-même a facilitées. Aux indications sommaires que l’on avait pu réunir relativement aux guerres de la république et du premier empire, à celles qui çà et là ont marqué les trente ou quarante premières années du siècle (la guerre des Russes contre les Turcs en 1828 par exemple), ont succédé des relevés dignes de foi concernant les guerres des vingt