Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 88.djvu/700

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

travaux de laboratoire, et même pour faire étudier, par les mains des professeurs ou de jeunes hommes d’élite, les questions scientifiques qui pourraient être soulevées. Il n’en a rien été. Le haut enseignement a été imperturbablement, dans ses moyens d’action, traité avec une déplorable parcimonie. Nous qui naguère étions les premiers en Europe, peu s’en faut que nous ne soyons plus qu’à la queue des autres. Dans ces dernières années, le gouvernement prussien donnait 1 million 1/2 ou 2 millions de francs pour un grand laboratoire de chimie à Berlin, plus d’un 1/2 million pour le même objet à Bonn. A Vienne, on achève en ce moment à grands frais un magnifique laboratoire de chimie et un autre pour la physiologie. L’empereur de Russie fait élever à Saint Pétersbourg un laboratoire modèle pour la physiologie. A Leipzig, c’est la physiologie et la chimie qui reçoivent cet appui, dont on est payé au centuple par le progrès que font toutes les branches des arts industriels. A Zurich, pour l’école polytechnique, à Heidelberg, à Munich, à Giessen, à Gottingen et dans d’autres villes d’universités de l’Allemagne, il y a mieux que tout ce que nous possédons en fait de laboratoires de chimie, de physique ou de physiologie, même à Paris.

Tous ces faits sont à la connaissance du gouvernement. Il a récemment envoyé au dehors un homme éminent, juge parfait en pareille matière, le docteur Wurtz, le doyen de la faculté de médecine, avec mission de constater en détail ces splendides et utiles hommages rendus à la science par nos émules de l’Europe continentale et plus spécialement de l’Allemagne. Son rapport, aujourd’hui imprimé, est une irrésistible pièce de conviction. Les détails qu’il fournit, les descriptions et les dessins qu’il étale sous les yeux du lecteur rendent notre infériorité apparente jusqu’à l’évidence. Dans les retours qu’il fait sur la France, M. Wurtz s’exprime avec la plus parfaite modération ; mais plus est grand son effort sur lui-même pour se contenir, plus est puissant l’effet de ses paroles. Il ne laisse aucune excuse à ceux dont l’imprévoyance et l’incurie ont arrêté en France la marche de l’enseignement scientifique supérieur, lorsqu’après avoir énuméré ce qui s’est fait à l’étranger il rappelle que l’agrandissement de la Sorbonne, siège de la faculté des sciences de Paris, voté il y a dix-huit ans, se borne à une première pierre posée en 1855, et que l’École de médecine de Paris, la première et la plus populaire du monde par les méthodes qui y sont suivies et par le savoir des professeurs qui y enseignent, reste « resserrée dans un espace trois fois trop petit, » et que « tous les services pratiques y sont installés dans des conditions déplorables. »