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les hommes à la guerre, il est bon de rappeler que sous la même influence l’art de guérir ceux qu’atteignent le fer et le feu suivies champs de bataille a réalisé un grand nombre d’acquisitions, et doit en réaliser bien d’autres. Voici par exemple un détail propre à montrer combien les services administratifs de. l’armée trouveraient à puiser parmi les découvertes que de nos jours la science appliquée livre sans cesse aux arts utiles. Dans les opérations vives de la chirurgie, la glace et les fomentations d’eau glacée ont une remarquable puissance préventive contre des accidens qui seraient funestes presque toujours. De plus boire frais est un des plus heureux soulagemens qu’il soit possible d’offrir à un blessé qui a perdu de son sang, et c’est un calmant qui agit sur son état général. Quiconque a visité une ambulance sait que le cri à boire, poussé avec angoisse, y retentit continuellement, et un verre d’eau bien fraîche est alors comme la manne céleste. Dans les ardeurs de l’été, une ambulance et un hôpital remplis de blessés, comme c’est le cas après une bataille, s’ils sont abondamment pourvus de glace, feront des prodiges ; mais quelle glacière pourrait subvenir à de tels besoins ? Je tiens de juges parfaitement compétens que telle blessure fort grave entraînerait une consommation de 10 à 12 kilogrammes de glace par vingt-quatre heures. Rarement ce serait de moins de 2 à 4 kilogrammes. On voit par là ce qu’il faudrait de glace en été pour des milliers de blessés. Or aujourd’hui le problème de la fabrication en grand de la glace est résolu : c’est une des plus ingénieuses applications de la physique qui aient jamais été faites. A l’exposition de 1867, M. Ferdinand Carré avait présenté deux machines, dont l’une faisait 25 kilogrammes de glace par heure, et l’autre 200, soit par jour 600 et 4,800 kilogrammes[1]. La manœuvre de ces appareils est simple et facile. Après des scènes de carnage comme les batailles de Solferino ou de Sadowa, si une de ces machines du grand modèle eût été établie dans chacune des grandes ambulances et chacun des grands hôpitaux, où les blessés furent entassés, on aurait sauvé la vie à des milliers d’hommes. Ces machinés, grandes ou petites, sont portatives. On se demande pourquoi elles ne figureraient pas désormais dans le matériel de l’armée, de manière à en munir chaque ambulance de quelque importance et à plus forte raison chacun des hôpitaux qui n’en sont pas nantis. Sur les grands navires de guerre, tous à vapeur aujourd’hui, il serait encore plus aisé de les faire fonctionner que sur terre, et ce serait presque sans

  1. Le rapport sur l’exposition universelle de 1867 fait connaître qu’alors la machine à 25 kilogr. par heure coûtait 4,800 francs, et celle à 200 kilogr. 24,000 fr., t. VIII, p. 374, Rapport de M. A. Thénard. — La grande machine a fonctionné pendant plusieurs mois consécutifs dans l’édifice de l’exposition au Champ de Mars,