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valent à peu près l’une l’autre. C’est la seule hypothèse qui soit plausible en ce moment. Quant aux armées elles-mêmes, l’observateur désintéressé reconnaîtra que l’avantage est du côté de la France. L’armée française s’est formée à une école que rien ne remplace, celle de la pratique. La paix, elle ne l’a, pour ainsi dire, jamais complètement connue depuis qu’elle a mis le pied sur le sol africain. Si la campagne de Solferino en 1859 n’a été, par sa durée, qu’un incident passager, comme celle de Sadowa en 1866, qui a donné à l’armée prussienne une grande idée d’elle-même, les longues guerres de Crimée du Mexique, la guerre trop peu célébrée que nous avons faite en Chine, ont procuré aux troupes françaises des qualités qui les rendent redoutables à leurs adversaires, et le séjour de l’Algérie, où il faut constamment batailler contre des populations mal soumises et contre le climat, est pour elles une éducation permanente.

Un sujet sur lequel l’intelligence humaine aura lieu de se développer dans cette guerre, mais sur lequel il serait impossible, dans l’état présent des choses, de s’étendre sans indiscrétion, est celui du matériel de guerre, des armes, des instrumens et des agens qui pourront être mis en œuvre. La guerre, en faisant abstraction du sang qu’elle verse et des horreurs qu’elle sème, est en quelque sorte une industrie comme la filature du coton ou la fabrication des barres de fer. Elle a un outillage composé d’engins variés, puissans, ingénieux, qu’elle emploie pour atteindre son but. Que celui-ci soit exécrable ou non, ce n’est pas la question, c’est ce qu’un peuple s’enlève le droit d’examiner du moment qu’il s’en va en guerre. La guerre diffère énormément de l’industrie, au point de vue moral, en ce que, tandis que celle-ci se propose de produire et créer, le but de la guerre est de tuer et détruire ; mais, par le seul fait qu’on est en guerre, cet objectif est accepté, et on s’applique à l’atteindre. Dans un cas comme dans l’autre, dans la guerre comme dans l’industrie, on ajoute à la force propre de l’homme, autant qu’on le peut, les forces diverses de la nature captées et asservies par la science, afin d’obtenir de grands résultats. Pour affaiblir l’adversaire sur les champs de bataille, ou pour renverser les obstacles qu’il oppose sous la forme de places fortes, on utilise et on est tenu d’utiliser, de la même façon que dans l’industrie, ce que les savans ont découvert, ce que les inventeurs ont imaginé, de sorte qu’il est dans la nature des choses que la guerre et l’industrie se suivent.

C’est ainsi que dans la série des âges l’armement des soldats et celui de l’industrie se sont transformés parallèlement sous l’influence des mêmes causes. — Dans l’âge de pierre, les instrumens du guerrier, de même que ceux du chasseur ou de l’individu qui