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pourquoi ses yeux semblent éteints par les larmes, et pourquoi son visage est pareil à celui d’un mort. Pour exprimer l’incurable douleur que lui cause la patrie ensevelie (chant de 1851), il compare son chagrin à celui d’un amant qui pleure une jeune Magyare sur laquelle la tombe s’est refermée. L’abandon est peint en traits presque aussi sombres que la mort dans un chant qui exprime les sentimens d’un amant trahi. La cloche du matin sonne dans le village avec un bruit solennel qui semble rappeler à l’homme la nécessité de porter ses pensées vers ce « qui est éternel, » la colombe sauvage chante tristement dans les bois ; « mais moi, je connais un chant encore plus triste, — je le chante, tant mon âme est pleine de chagrin. » La pensée du repos dans la mort finit par se présenter comme une sorte de consolation. « Le printemps doré de la vie » n’est-il pas fini ? Comment attendre « en hiver » les fleurs de l’été ! Il faut donc penser à la fleur funèbre qui s’épanouit dans les hautes herbes du cimetière ; mais, comme quelque espérance vit toujours au cœur des amans, ainsi que dans la Chute des feuilles, l’amoureux, qui semble ne songer qu’à sa fin prochaine, s’occupe surtout des témoignages qu’on pourra rendre à sa mémoire. « Peut-être un jour, à la faveur des ténèbres, — viendras-tu sur mon tombeau ; — mais il sera trop tard, — je ne pourrai plus te tendre la main, — parce que la terre pesante et glacée me couvrira. » L’inconstance, comme la mort, transforme plus d’une fois le désespoir en colère dans ces âmes violentes. C’est ainsi que s’explique l’épithète de « scélérate » appliquée à une belle infidèle. C’est ainsi que le champ du repos devient pour une imagination exaltée un monstre dévorant dans lequel il est question d’enfoncer une « verge de fer. » Dieu, « l’antique tueur » des chants serbes, n’est nullement mis en cause ; mais la terre « avide de sang » de l’ancienne Grèce, personnifiée hardiment dans le cimetière, est présentée comme « éternellement envieuse de toute beauté et de toute vertu. » L’idée des « dieux jaloux » a beaucoup de peine à disparaître de la conscience humaine. L’énigme du monde n’offrant guère de solution à la poésie populaire, — la philosophie et la théologie se vantent d’être plus heureuses, — elle est perpétuellement entraînée à recourir à quelque hypothèse fataliste. Du reste, le fatalisme répugne si peu aux poètes magyars qu’ils le professent avec une rare franchise.

Si la poésie fait une large place aux passions de la jeunesse, elle ne montre parmi les Magyars aucun dédain pour la vie de famille. Un chant exhorte les jeunes gens au mariage avec une verve qui ne manque pas d’originalité. « Qui n’embrasse pas joyeusement l’état marital — vit inutile au monde, — son cœur se gèle dans sa poitrine, — au lieu de sang, sa tête ne contient que du petit-lait. » Il