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quand elles sont fidèles au costume national. « Qu’elles sont belles, surtout depuis qu’elles ne méprisent plus leurs bonnets, — depuis qu’elles ne chargent plus leur tête de ces citadelles de gaze ! » Le Magyar n’est pas seul à croire que toute comparaison est impossible entre sa nation et les autres. La plupart des peuples se mettent sans gêne au premier rang. Aussi faut-il leur demander quel est celui qu’ils placent au second pour avoir leur opinion réelle sur cette question brûlante du primato, que les philosophes et les politiques traitent (il suffit de citer l’exemple de Gioberti) avec autant de passion que la poésie populaire.

Un chroniqueur allemand, Regirio, le savant abbé de Prum, peu disposé, comme tous ses compatriotes, à flatter les Magyars, disait déjà au IXe siècle, en parlant de l’horreur que leur inspire la domination étrangère : « Le courage de leurs femmes les a rendus aussi célèbres que celui de leurs guerriers. » Aussi ont-elles obtenu l’honneur de porter le glorieux sceptre du « roi apostolique, » et le peuple le plus vaillant des rives du Danube n’a pas cru devoir se ranger parmi les nations qui interdisent aux femmes l’accès du trône. Les règnes de Marie Ire (maison d’Anjou), d’Elisabeth Ire (maison de Habsbourg), de Marie II (Marie-Thérèse), attestent que, si les Arpádiens, restés fidèles à certains préjugés de l’Asie, avaient une sorte de loi salique, les dynasties qui leur ont succédé ont subi d’autant plus facilement d’autres idées que parmi les Magyars le culte enthousiaste de la Vierge, de la « patronne de la Hongrie, » devait nécessairement, sans parler d’autres causes, exercer une puissante influence sur le sentiment public. Dès le règne de Béla IV, on lisait sur les monnaies l’inscription sancta Maria, et de nos jours, lorsqu’un a pauvre garçon » aperçoit une croix avec quelque grossière peinture représentant la patrona Hungariœ, son patriotisme aussi bien que sa dévotion l’empêche de faire un mauvais coup en présence de celle dont l’image ornait autrefois les palais comme les chaumières.

Le patriotisme autant sans doute que l’intrépidité des Hongroises leur a conquis l’admiration des poètes ; même dans la patrie des Jeanne d’Arc, des Jeanne Hachette et des Roland, un historien, Claude de Sacy, reconnaissait que nulle contrée de la terre n’avait mieux su inspirer à ses filles l’amour du pays natal. « On a vu, disait-il, dans ce royaume, l’amante guider son amant dans le chemin de la gloire, l’épouse marcher d’un pas égal avec son époux, la mère envoyer son fils à la mort, et mourir comme lui après l’avoir vengé[1]. » Elles ont ainsi puissamment contribué à maintenir

  1. Histoire générale de la Hongrie, 1778.