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celles qu’on peut être heureux d’occuper lorsqu’on a pour fonction de distribuer ce que je puis bien appeler les largesses du législateur, puisqu’elles résultent de la sagesse du parlement, entre les différentes classes de la nation, je veux dire d’opérer des remises de taxes ; mais la situation change quand arrive la guerre. Ce n’est pas seulement alors un emploi sans plaisir, c’est une charge pénible et misérable que d’avoir à inventer sans cesse les moyens de poursuivre la guerre et de puiser dans la bourse des citoyens. Les motifs louables et ceux qui ne le sont pas n’ayant pour contre-poids que la rectitude, la conscience et le désir d’être approuvé des honnêtes gens, toutes les raisons de tranquillité, de facilité, de paresse, d’irresponsabilité, se dressent dans l’esprit d’un chancelier de l’échiquier pour l’induire à recommander la ressource de l’emprunt. » Il n’en usa pas ; mais, étant sorti du ministère pour un motif que j’indiquerai plus loin, il ne s’opposa point à l’emprunt qui fut contracté par sir George Cornewall Lewis. Lorsque M. Disraeli fut redevenu chancelier de l’échiquier en 1858, M. Gladstone ne combattit pas non plus son budget ; mais sans doute, en le voyant immobile comme toujours, le chapeau sur les yeux, les bras croisés, les jambes étendues, avec un air d’inattention qu’accentuait de temps à autre un bâillement prolongé, recevoir sans sourciller l’averse des complimens qu’il lui prodiguait, M. Disraeli se souvint avec inquiétude des coups de son adversaire de 1853.

Lorsque M. Gladstone se trouva l’année suivante à son tour chargé des finances, comment l’effet avait-il répondu à ses calculs ? Il faut bien le dire, la plupart de ses prévisions étaient tristement déçues ; le budget de 1860, loin de permettre les suppressions espérées, offrait au premier abord un déficit considérable. Certes les raisons ne manquaient pas pour excuser les erreurs de M. Gladstone : la guerre de Crimée avait grevé le budget de 1,400,000 livres par an ; les excédans, qui devaient dans sa pensée être réservés à la diminution de la dette, avaient reçu des applications différentes, etc. Une explication meilleure encore était dans cet esprit de dépense qui, comme l’esprit d’accumulation, se développe en s’exerçant, trouve toujours des prétextes, exagère les besoins, les crée bien souvent, et dont l’accroissement des sommes consacrées aux services publics témoignait hautement. Sans doute à cet accroissement de dépenses répondait une augmentation de la richesse publique, mais dans quelle proportion ? M. Gladstone établissait, par un calcul fondé sur le rendement de certaines catégories de l’income-tax, qu’entre 1853 et 1859 la richesse nationale s’était accrue de 16 1/2 pour 100, tandis que les dépenses pour les services publics avaient, dans le même laps de temps, augmenté de 58 pour 100 : avertissement grave. En somme, il fallait ou maintenir l’income-tax tel qu’il était,