Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 88.djvu/674

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

semble nullement triste aux poètes de la Hongrie. « Si quelqu’un vit joyeux, — c’est le berger. — Dans le bois, sur la verdure des prés, il siffle, il joue un air, il se promène, — il va pas à pas, il s’avance, il s’arrête, — quelquefois aussi il est rêveur. » Avec son bâton pastoral, sa longue bunda, qui peut servir à la fois de lit et de tente, dont l’impénétrable toison le préserve du froid en hiver et des rayons dévorants du soleil en été (la chaleur peut aller jusqu’à 40 degrés Réaumur), le juhász, surtout quand il porte les cheveux tressés comme ses pères, semble, par son costume comme par son zèle pour les antiques traditions, une image complète des vieux pasteurs orientaux, maîtres naturels des steppes sans limites. Aussi un d’eux qui vit dans l’abondance sur la « propriété du comte Széchényi » dit-il, dans un citant sur sa condition, que lorsqu’il s’avance sur la « libre terre, » il se promène derrière son troupeau « comme un empereur. »

Les occupations des csikós (gardiens des chevaux) sont trop périlleuses pour qu’elles ne développent pas chez eux un caractère moins pacifique que celui des bergers. En effet, le cheval est resté longtemps dans l’état où il est dans sa patrie. On sait que depuis le Volga jusqu’à la mer de Tartarie, les tarpans galopent librement en bandes innombrables sur les solitudes des plateaux. Dans beaucoup de contrées, cet animal s’est sensiblement modifié depuis qu’il est devenu domestique. En Hongrie, où on le laisse encore souvent vivre dans un état à moitié sauvage, on s’en occupe pourtant plus que de l’espèce bovine, et, sans compter les haras militaires, il y a un très grand nombre de haras appartenant à des particuliers. Ce n’est pas que la race indigène soit grande et remarquable par l’élégance de ses formes ; mais elle est pleine de feu et infatigable : aussi les csikós ont-ils besoin, pour dompter un cheval dont on ne s’est jamais servi, d’autant d’intrépidité que d’adresse. Du reste cette adresse est telle qu’on peut dire que s’il peut le toucher seulement de la main, le résultat cesse d’être douteux. Ils s’approchent avec une apparente insouciance de la bête dont ils ont besoin, ils sautent sur son dos, et, sans même essayer de lui mettre une bride, ils se lancent dans la puszta et galopent avec fureur jusqu’au moment où l’animal épuisé est obligé de reconnaître son. maître. Dans les haras de remonte, où l’accumulation de ces quadrupèdes violens et vindicatifs rend le danger plus grand encore, ils n’hésitent pas à terrasser celui qui leur est désigné. Non-seulement le csikós est inaccessible à la peur, mais il tient à constater dans toutes les occasions son mépris du danger. Comme il fume presque constamment, il n’interrompt point cette occupation éminemment nationale, même lorsqu’il va dans la puszta saisir le cheval le plus rétif, — opération en comparaison de laquelle la chasse au