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Albanais. La jaquette courte, en peau de mouton, protège la poitrine contre l’hiver, assez rigoureux dans ces plaines ouvertes. Une large ceinture de cuir, garnie d’anneaux et de compartimens, sert de magasin portatif, et fait ressortir la poitrine bombée. Le surtout de laine blanche (szür) est orné de coutures et de morceaux de drap rouge représentant des fleura, parmi lesquelles la fleur nationale, la tulipe éclatante des grandes steppes de l’Orient, si fière sur sa tige raide, occupe le premier rang. Aussi est-il appelé dans un chant « un szür fleuri. » Un manteau ou une bunda, pelisse garnie à l’intérieur d’une peau de mouton et à l’extérieur de cuir orné de broderies, peut remplacer le szür. « Hejel heja ! ma nouvelle bunda, dit un poète, est certainement magnifique, — je ne la donnerais pas pour six bœufs. » La bunda pour un Magyar des classes inférieures est l’objet nécessaire, la parure essentielle, et qui ne possède pas cette pelisse, sur laquelle une amante dit qu’elle reposait « sa tête endolorie, » est dédaigné même des filles les plus laides. Le kalpag est bien connu, tout le monde l’a vu sur la tête des hussards. Le chapeau à larges bords est couronné quelquefois dans les grandes circonstances de rubans et de fleurs artificielles. Les ornemens de ce chapeau figurent souvent dans les chants. « Mon petit chapeau est noir, — dit l’un, un plumet de csárdás y est fixé ; — une partie s’abaisse — parce que ma Rose m’a quitté. » Un autre enfonce sur les yeux son chapeau, « sur lequel se flétrît une fleur. » Le mal est bien plus grand lorsque la fleur reste verte, et que le cœur est mort. « Il y a bien sur mon kalpag une petite fleur avec ses vertes feuilles, — mais dans mon cœur croit une fleur funèbre, » S’il est difficile de se mettre à l’abri des traits de l’amour, il est heureusement plus aisé de se défendre contre l’ennemi. L’arme nationale est la petite hache (csákány) ; fixée à un manche plus ou moins long, elle sert contre les bêtes fauves, qui ne manquent pas dans cette nature indomptée. Un pâtre, en ramenant sur sa poitrine son épais manteau, peut braver la pique des houlans, grâce à la merveilleuse adresse avec laquelle il lance sa hachette aiguë ; mais, comme le coltello italien, sans lequel le popolano ne marche pas, elle est employée trop souvent à des usages moins innocens. Chez un peuple guerrier qui est loin de dédaigner le bon vin, dans un pays où des nationalités souvent hostiles se trouvent en contact, on est assez porté à faire appel à « la dernière raison des rois. »

Les bêtes à cornes, qui sont de petite taille (les contrées arrosées par la Tisza nourrissent une race excellente), sont confiées au gutyás ou bouvier ; mais qu’on ne se figure pas qu’il donne à ses troupeaux les soins que leur accorde un fermier anglais ou normand. Dans ces plaines sans limites, l’élève du bétail est presque ce qu’elle était au temps d’Etele. Il ne s’agit ici ni d’étables, ni