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intelligences plus avides de mouvement et de bruit, Il Lorsque les bords frangés de l’horizon sont enveloppés des brumes de l’aurore, » son regard erre avec délices dans l’espace ; infini. Il contemple avec bonheur les jeux de la lumière, ici sur le sable brûlant, là sur les vastes champs, tantôt sur les eaux, tantôt sur les hautes herbes, que le vent courbe en ondes. Le jour, le mirage (délibab), les « fiers taureaux qui agitent leur sonnette, » les « longs bras étendus des puits profonds, » le zéphyr qui se joue dans « les blonds épis, » l’émeraude, « couronne de la contrée, » qui s’épanouit au sein des pâturages, remplissent son esprit de mille visions. Le soir, les feux qui brûlent autour des parcs derrière lesquels les troupeaux passent la nuit donnent à la puszta jusqu’à l’horizon le plus lointain un aspect fantastique qui charme les regards. Habituellement la cigogne solitaire, le cavalier qui passe rapide comme l’éclair, le son d’une cloche, la trompette du pâtre qui retentit, produisent dans son âme assez de sensations pour qu’il ait ce sentiment paisible de l’existence qui suffit à ceux qui vivent en contact perpétuel avec la nature, source inaltérable de calme et de sérénité. Si son intelligence n’est pas agitée dès mille rumeurs dont s’occupent les cités, elle trouve une source de patriotiques satisfaction dans la légende nationale conservée par les chants[1], et propagée par les récits qu’à la fin de la journée le berger en chef fait à ses garçons réunis autour des feux et toujours disposés à écouter les exploits des aïeux et les beaux traits dont est remplie la vie de Matthias le Juste. Le nom d’Etele retentit plus doucement à son oreille que le nom du héros d’Iéna à celle du paysan français, parce que le vainqueur des césars n’a jamais été obligé de rendre ses immenses conquêtes à l’ennemi. Etele, transfiguré par l’imagination populaire, comme le Romulus du patriciat romain, comme le « divin Trajan » des Roumains, n’est plus qu’un père héroïque et un bienfaiteur de la patrie. Sur ce sol qu’il a donné à ses fils, et qui a été reconquis par les Almos et les Arpád, dignes héritiers du fléau des lâches, le Magyar sait que sa : vie est celle de ses aïeux, mais une vie purifiée par le sentiment chrétien et ennoblie par la possession de libres institutions. La mémoire de tant de héros qui ont fait trembler Rome et Byzance dégénérées, qui ont suivi en Asie l’étendard de la croix, dont la poitrine a si longtemps servi de rempart à l’Europe quand ils écrivaient leur nom « sur le grand livre de gloire avec le sang des Osmanlis, » qui ont sans crainte et sans forfanterie défendu contre les héritiers des césars, contre la redoutable maison de Habsbourg, l’indépendance et les droits de la nation, cette mémoire est aussi vivante, grâce à

  1. Tinódi, le dernier des « jongleurs, » parcourait le pays on chantant la chronique de la Hongrie et de la Transylvanie.