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qui constituent la poésie du peuple. Avec Kazinczy et son école se produit une seconde phase (1807-1830) caractérisée par l’étude des littératures étrangères, — étude naturelle après cette époque impériale qui avait rapproché violemment toutes les nations. La révolution française de 1830 ayant réveillé partout le sentiment national, qui voulut se substituer à des tendances trop cosmopolites ; la poésie populaire l’emporta durant la troisième phase (1831-1849). Après 1840, l’auteur de l’Himfi, le Pétrarque des Magyars, Alexandre Kisfaludi, a donné son nom à la Société qui a si bien mérité du pays et de la littérature. La Société kisfaludienne commença la publication des chants populaires, achevée par M. Jean ErdéJyi (Pesth, 1845-1849). Dissoute par la réaction absolutiste qui suivit l’insurrection, cette société a puissamment contribué à ramener la poésie magyare au naturel et. A l’originalité, sans cesse compromise dans l’Europe orientale par l’imitation maladroite des littératures de l’Occident.

Après tant de vicissitudes, la poésie populaire est restée parmi les Magyars une puissance dont il faut tenir grand compte. Dans les contrées de l’Occident, où un individu illettré est un phénomène (toutes malheureusement n’en sont pas là), il est difficile de se rendre compte de l’importance extraordinaire que la poésie a parmi les nations de l’Europe orientale. Sans doute la littérature magyare occupe maintenant une place dans les annales de l’esprit humain ; mais le peuple n’est pas plus lettré que dans les pays voisins, et une jeune fille raconte avec beaucoup de charme ce qu’elle ferait, si elle pouvait tracer le nom de « celui que son cœur aime. » — « Si, dit-elle, je savais écrire une lettre, — je la scellerais avec un cachet d’or, — et dedans je mettrais mon cœur — pour l’envoyer à mon amant. » Le genre d’instruction qu’on puise ailleurs dans des livres élémentaires est fourni à ces intelligences incultes par les poètes du peuple. Aussi voit-on l’inspiration populaire, prenant le rôle de la presse, se produire dans des circonstances où ailleurs son intervention semblerait singulière. Cette muse, éminemment active, toujours pressée d’intervenir, n’est-elle pas le meilleur guide qu’on puisse prendre pour étudier la vie du peuple magyar ?


II

L’influence du milieu agit si fortement sur les peuples, qu’elle finit par changer complètement leurs habitudes et même leurs types. Si les Magyars s’étaient établis dans l’Europe occidentale, ils n’auraient rien gardé des mœurs des Finno-Mongols, leurs nomades ancêtres ; mais la contrée dans laquelle ils se sont fixés leur