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même quelquefois de Socin, paraît aussi disposé à farder aux pieds les images et à démolir les sanctuaires des saints que ces autres fils de la race finno-mongole qui règnent à Constantinople.

Le peu de sympathie que la littérature nationale en général et la poésie populaire en particulier inspiraient aux agens de la germanisation était de nature à en faire comprendre toute l’importance aux patriotes. La création d’une littérature complète, — phénomène si frappant pour ceux qui connaissent les états danubiens, — est la meilleure preuve du persévérant patriotisme des Magyars. Tandis que d’autres peuples n’ont guère pour organes de leurs aspirations que les poètes du peuple le royaume de saint Étienne est justement fier de pouvoir aujourd’hui citer des noms éminens dans toutes les branches de la littérature, ainsi que l’atteste la Bibliothèque nationale (Nemzetis Konyvtár-1842-54), publiée par M. F. Toldy avec le concours des écrivains et des patriotes les plus distingués. Dans la poésie, il suffit de nommer les Vörösmartry, les Kölcsey, les Kisfaludi, les Petöfi, les Arany.

Mais au temps où la Hongrie élut Ferdinand Ier, il était difficile de prévoir qu’elle obtiendrait de pareils résultats. La réformation, luttant à la fois contre les Habsbourg, contre Rome et contre le latin, langue du catholicisme, donna une vive impulsion à la littérature magyare. Employée dans les disputes religieuses, dans les chants de guerre, dans toute poésie qui voulait agir sur le peuple, la langue atteignit le degré de perfection qu’elle n’a dépassé qu’à la veille de la révolution française (1780). À aucune époque, on ne composa autant de chants populaires destinés à rappeler la mémoire des héros magyars, à raconter les vieilles histoires et les antiques légendes. Dans ce genre de littérature se distinguèrent Tinódi, Valkai, Cserényi, Balassa, Ilosvai, Gosárvári, Veres, Enyedi, Szollösi (1540-1580). Ce grand XVIe siècle, si fécond en Occident, fut en Hongrie une ère de merveilleuse activité intellectuelle. La restauration catholique, en assurant le triomphe de l’intolérance et du latin, devait ajourner jusqu’à la fin d’une autre ère de résurrection, le XVIIIe siècle, le développement de la littérature nationale.

La popularité des idées françaises était si grande en Europe jusqu’à la réaction provoquée par les entreprises de Napoléon, qu’il y eut quelque hésitation sur la ligne à suivre dans la première phase de la période contemporaine (de 1772 à 1807). Cependant quelques poètes distingués commencèrent à montrer la voie. Tel était Dugonics malgré sa prédilection pour les sujets empruntés aux mythes classiques. André Horváth a composé plusieurs chants populaires. Le comte Gvadányi a choisi pour thème de ses poésies descriptives des scènes de la vie du peuple, et son langage était en harmonie avec ces scènes. Csokonai avait une pleine conscience des élémens