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En 1798, quelques jours après le discours où Pitt proposait l’établissement de l’income-tax, Mallet du Pan écrivait, sous l’impression vive encore de ce mémorable exposé, dans le Mercure britannique : « Depuis qu’il existe des assemblées délibérantes, je doute qu’aucune ait jamais entendu un développement de cette nature, également étonnant par son étendue, sa précision et les talens de son auteur. Ce n’est pas un discours qu’a prononcé le ministre, c’est un cours complet d’économie politique, et l’un des plus beaux ouvrages de finance politique et spéculative qui soient sortis de la plume d’un philosophe et d’un homme d’état. » Je n’oserais parler en de tels termes du discours de M. Gladstone, et pourtant je ne crois pas qu’on ait jamais pénétré plus avant et répandu plus de lumière dans cette grande question. Les objections qu’il élève contre cet impôt sont-elles pour cela décisives ? Ne s’est-il pas laissé gagner, de très bonne foi, personne n’en saurait douter, aux préventions intéressées des classes dirigeantes contre l’income-tax ? Il dit lui-même que la vraie base de tout impôt est le revenu : si cette donnée de la théorie ne peut être une règle absolue, ne doit-elle pas au moins servir de boussole au financier ? M. Gladstone distingue ailleurs entre la justice morale, qui est à la portée de l’homme, et la justice mathématique, qui se dérobe à lui presque toujours et qui peut couvrir bien des iniquités : cette distinction est profondément vraie, mais ne réduit-elle pas à leur juste valeur la plupart de ses critiques ? Il est permis de présumer que, sur ce point comme sur beaucoup d’autres, sa pensée s’est modifiée depuis dix-sept ans. Ce qu’on ne saurait nier dans tous les cas, c’est qu’en dépit des objections cet impôt s’acclimate peu à peu en Angleterre, arrive insensiblement à la permanence, et qu’à mesure qu’il s’enracine, malgré les imperfections qu’on est forcé d’y reconnaître, la raison générale est moins choquée de ses anomalies et se réconcilie de plus en plus avec lui.

Quoi qu’il en soit, M. Gladstone proposait de le conserver provisoirement en l’associant à des réductions de droits progressives, mais sérieuses, afin de poursuivre sans relâche l’établissement de la liberté commerciale. Toutefois en maintenant l’income-tax il voulait qu’on en marquât le caractère temporaire par une diminution graduelle, qui devait aboutir en 1860 à la suppression. Enfin il s’efforçait d’atténuer la plus choquante inégalité de cet impôt, celle qui consiste à frapper également les revenus de l’intelligence ou du travail et ceux de la propriété ; mais il prétendait y parvenir sans en bouleverser l’économie et sans y introduire une distinction capable de susciter la jalousie entre les classes. Il proposait pour cela d’établir un droit de succession sur la propriété personnelle (biens meubles et effets mobiliers) analogue à celui qui pesait sur la