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lois de l’on peuple. » Le duc, voyant les Magyars « si bien disposais » accueillit fort bien l’ambassadeur, qui, n’excitant aucun soupçon » se procura une bouteille qu’il remplit dans le Danube. Il prit aussi un peu de terre et d’herbe.

Arrivé en Transylvanie, il présenta le tout à Arpád, qui réunit autour de lui les chefs, et soumit à leur examen l’eau, la terre et l’herbe. On prit dans ce conseil la résolution d’envoyer au duc de Pologne des ambassadeurs chargés de lui présenter « un blanc destrier » avec une selle dorée et une riche bride. Conformément à leurs instructions, ils lui parlèrent ainsi : — « Avec ce beau cheval t’honorent ceux-là — qui ont émigré de la Scythie, — qui demandent de la terre à ton altesse, — pour pouvoir s’établir dans ton pays. » Le duc, séduit par l’envie d’avoir « le beau destrier » et ne soupçonnant pas la fraude, répondit dans sa joie naïve qu’il voulait donner « librement aux Magyars autant de terrain qu’ils en voudraient. » Remplis de satisfaction d’avoir obtenu une pareille réponse, les ambassadeurs se hâtèrent de retourner en Transylvanie, où les chefs décidèrent qu’à peine arrivés dans le pays du duc, ils lui livreraient bataille.


« Ils y adorent le Dieu, — ils invoquent trois fois le Deus… — Il nous en est resté l’usage, — lorsque nous concluons un contrat, — de crier : Deus ! Deus/ — pour certifier que nous avons vendu. — Tout fut promptement préparé, — on choisit trois messagers — qu’on envoya vers le duc ― pour lui parler ainsi : — Songe bien, duc, en toi-même, — qu’il faut que tu abandonnes vite ce pays ; — puisque tu l’as vendu aux Magyars ― tu dois maintenant le leur laisser. — Les ambassadeurs viennent vers le duc, — ils le saluent respectueusement, — et avec les mots d’Arpád lui-même — ils s’expriment sans peur de la manière suivante : — Tu as donné ton sol pour un blanc destrier, — et ton herbe pour une bride dorée, — et l’eau du Danube pour une selle d’or… — Le duc écoute et sourit d’abord, — ne faisant pas attention à cela ; — il parle ensuite à l’envoyé sur ce sujet, — il dit, oppressé par la colère : — S’ils m’ont envoyé le cheval pour ce motif, — qu’ils l’assomment avec un maillet, ― qu’ils jettent la selle dans le Danube, — et qu’ils cachent la bride dans l’herbe. — Les ambassadeurs dirent au duc : — Ton altesse ne doit pas agir ainsi, — on ne peut pas non plus nuire aux Magyars de cette façon, — plutôt ils y gagneraient, — parce que les chiens s’engraisseraient tous avec le cheval, — aux pêcheurs reviendrait la selle, ― les moissonneurs se partageraient la bride, — et ceux-ci diraient de toi beaucoup de bien. — Les ambassadeurs prennent congé, — le duc fut saisi de peur, — les armées se rassemblèrent, s’avancèrent le long du Danube, — Diem était avec les Magyars. — Le duc fut battu et sauta dans le Danube — pour pouvoir se sauver enfin ici, — ou plutôt s’y cacher. »