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d’autres propriétés que les propriétés de la mécanique. On commence à comprendre, même parmi les savans, que la mécanique n’est qu’une science abstraite, que ses propriétés ne serait que des abstractions, et que ce n’est point avec de pareils élémens qu’on peut expliquer le réel et le vivant. On voit déjà que le mécanisme moderne, quelque supériorité que les progrès des sciences positives lui donnent sur l’ancien, n’est au fond que le même point de vue, le même principe toujours insuffisant à expliquer la réalité, par quelque côté qu’on la prenne, par sa base ou par son sommet. Il est curieux de voir les esprits les plus vigoureux parmi les adeptes d’une doctrine qui croyait en avoir fini avec toute métaphysique reprendre le problème de l’explication des choses, c’est-à-dire un vrai problème de métaphysique avec une méthode, un point de vue, des principes et des conclusions qui ne font, à la rigueur près du langage, que renouveler l’antique philosophie des atomes. Si nous ne nous trompons, le débat va donc renaître après un temps d’indifférence sceptique et de distraction historique ; il va renaître au milieu de circonstances qui lui donneront une force et forme nouvelles. Il est toujours bon d’opposer les enseignemens de la conscience aux théories de la science positive, ne fût-ce que pour préserver les âmes, comme on dit, de la contagion des idées contraires à la liberté et à la dignité de notre espèce ; mais, à prendre les choses philosophiquement, cela n’avance point la question d’un pas dans la crise difficile où la philosophie contemporaine est engagée. À une philosophie parfaitement simple, claire, intelligible, et qui a toutes les apparences d’une doctrine scientifique, il faut opposer une doctrine aussi claire, aussi intelligible, aussi scientifique, qui ait l’avantage de donner pleine satisfaction à ces sentimens intimes, à ces instincts irrésistibles de notre nature morale que la philosophie de M. Taine réduit à néant par ses savantes explications. On nous dira que cette philosophie existe depuis longtemps, et que des noms comme ceux de Descartes, de Leibniz, de Biran, suffisent à réfuter de pareils paradoxes. Ce serait s’endormir dans une fausse sécurité que de croire que le vieux spiritualisme, avec ses hautes et profondes lumières, mais aussi avec ses abstractions, ses mystères, ses rêves chimériques et son langage peu scientifique, puisse lutter, dans l’état actuel des esprits, contre une doctrine rajeunie et transformée par les progrès des sciences expérimentales. À ce matérialisme nouveau il faut opposer un nouveau spiritualisme, conservant la pensée qui a fait la force et l’invincible attrait du spiritualisme sur la plupart des esprits d’élite, en la dégageant du mysticisme sentimental ou de l’idéalisme abstrait qui en a fait un objet de répulsion pour la foule des esprits sensés et positifs.