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supprimer au nom de l’analyse un seul des attributs dont on vient de parler, il tombe dans l’erreur, parce qu’il ajoute l’hypothèse à l’analyse. Il n’en a pas plus le droit que le physiologiste n’aurait celui de nier les propriétés vitales par cette raison que la vie a pour élémens reconnus certains principes chimiques. L’école de l’analyse aura beau nous dire qu’elle ne trouve rien de plus au fond de son creuset, que ces prétendues propriétés des composés ne sont que des apparences illusoires, puisqu’il n’en reste aucune trace dans les élémens qui en sont les principes générateurs, et que parler d’affinités, de principe vital, d’âme ou d’esprit, c’est ressusciter les entités de la scolastique ; sans nous occuper de ces entités, nous pouvons répondre qu’il y a dans certains de ces composés, pour emprunter le langage de cette école, quelque chose qui échappe a l’œil de l’analyse : c’est l’opération, la création de la nature, qui fait l’unité de ces composés et partant leur être véritable avec tous ses attributs et toutes ses propriétés. M. Taine aura beau nous répéter dans tout le cours de ses analyses que le moi n’est qu’un groupe d’événemens ; nous nous défions de cette espèce d’opération magique qui fait évanouir les caractères essentiels de la réalité en la décomposant dans ses élémens. Nous sentons que, si ce procédé peut être excellent pour connaître la constitution, la nature intime de certaines réalités, il en est d’autres qui résistent à une pareille analyse, comme le corps vivant se refuse à certaines expériences dont l’objet serait d’éclaircir le mystère même de la vie.

Il faut que M. Taine en prenne son parti, la méthode analytique, si précieuse et si féconde qu’elle soit, n’a pas en physiologie, en psychologie surtout, la portée qu’on lui attribue ; si elle seule pénètre jusqu’aux élémens de l’être, elle n’atteint pas l’être lui-même. À la lecture de ce livre si embarrassant pour la conscience humaine, M. Michelet laissait échapper, dit-on, cette exclamation : il me prend mon moi ! Que ce cri n’émeuve pas M. Taine, nous le savons, tant est grande sa confiance en sa méthode. Sera-t-il plus sensible à une critique portant sur le caractère hypothétique de ses conclusions et sur l’insuffisance de l’analyse à résoudre certains problèmes qui tiennent à ce qu’il y a de plus essentiel, de plus intime, de plus élevé dans l’espèce de réalité soumise à son microscope ? Comprendra-t-il que l’analyse ne peut ainsi résoudre l’individualité humaine, ou l’individualité animale, ou l’individualité quelconque d’un être vivant dans un groupe, dans une série, même dans un simple système de phénomènes ? Comprendra-t-il qu’il y a des mots nécessaires à toute langue, parce qu’il y a des idées dont nulle intelligence ne peut se passer, quand elle pense aux choses du monde physique ou du monde moral ? Ici donc nous reprocherons à la