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ou consécutives, douées de certaines tendances et modifiées dans leur développement par le concours ou l’antagonisme d’autres images simultanées ou contiguës. De même que le corps vivant est un polypier de cellules mutuellement dépendantes, de même l’esprit agissant est un polypier d’images mutuellement dépendantes, et l’unité, dans l’un comme dans l’autre, n’est qu’une harmonie et un effet[1]. »

Voilà l’homme expliqué, l’homme comme la nature, l’homme moral comme l’homme physique : des mouvemens élémentaires dans la nature, des événemens élémentaires dans la conscience, lesquels, on l’a vu, semblent se ramener à de simples mouvemens ; ces mouvemens de diverse nature se développant dans un rapport de concours ou d’antagonisme ; un état d’organisation et d’harmonie résultant d’un certain équilibre, un état de désorganisation et de désordre résultant d’un défaut d’équilibre : voilà la machine humaine, de même que la machine cosmique, vue dans la composition et dans le jeu de ses élémens !


IV

N’avions-nous pas raison de classer M. Taine dans la famille des esprits simplistes, pour nous servir d’un barbarisme peut-être nécessaire à notre langue ? Quoi de plus simple en effet que sa doctrine, de plus intelligible, de plus facile à représenter à l’imagination ? Des mouvemens et des lois qui les régissent, c’est toute la réalité ; parler de causes, de substances, même de forces et de facultés, c’est introduire de vaines entités dans le domaine de la science. Qu’est-ce que le monde ? Une immense et éternelle série de mouvemens visibles plus ou moins complexes, tous réductibles à des mouvemens invisibles obéissant aux lois de la physique. Qu’est-ce que l’homme ? Un groupe d’actions et de réactions réductibles elles-mêmes à des mouvemens simples, où l’équilibre des parties fait l’état sain et normal du tout. Tous les problèmes dont la science humaine ait à s’occuper, questions physiques et questions morales se résolvent en problèmes de mécanique ; une simple machine à décomposer et à recomposer, telle est toute l’œuvre du philosophe qui veut expliquer ce jeu de mouvemens, quelque nom qu’on lui donne, pierre, plante, animal, homme. Tous ces mouvemens, divers dans leur nature et leur mode de développement, sont soumis également à l’empire de l’universelle nécessité. C’est là ce qui fait de toute réalité physique ou morale un objet

  1. T. Ier, p. 138-139.