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faits nouveaux, avec des méthodes plus sûres, avec une plus riche et plus instructive expérience, il reprend les questions philosophiques qui avaient été posées et débattues avec plus ou moins de succès au XVIIe et au XVIIIe siècle ; seulement il les reprend en se rendant mieux compte des difficultés, avec la ferme résolution de ne pas dépasser les limites de l’observation, et d’abandonner au domaine de la foi et de l’imagination les problèmes qui ne lui paraissent pas susceptibles d’une solution scientifique. On ne croit plus que la science est tout entière dans son histoire, comme il avait semblé dans un moment d’enthousiasme qui rappelait la renaissance ; il ne s’agit plus d’en recueillir et d’en combiner les élémens, sous l’examen d’une critique plus attentive à la convenance morale qu’à la valeur scientifique des doctrines. C’est dans les voies de l’expérience et de l’analyse qu’on cherche des solutions plus exactes, plus positives. Sans parler des penseurs originaux qui, comme M. Renouvier, ont toujours cherché la vérité en dehors des traditions et des écoles en vogue, ni des savans qui, comme M. Cournot, ont essayé de renouveler par les données de la science l’analyse et la critique de l’entendement, il est curieux de voir la génération actuelle des professeurs universitaires rentrer dans les études de théorie pure, à l’exemple de Locke, de Hume, de Condillac, de Cabanis, de Maine de Biran, de Jouffroy. C’est un professeur de lycée, M. Ribot, qui vient d’exposer en les résumant dans un excellent langage les théories psychologiques de la nouvelle école anglaise, laquelle compte parmi ses chefs Stuart Mill, Alexandre Bain, Herbert Spencer. Un autre professeur, M. Joly, vient de faire sur l’instinct une de ces monographies qui, par l’étendue des recherches, la richesse et la variété des observations, le développement des analyses, servent souvent mieux la science que les ouvrages d’ensemble les plus goûtés. Sous ce rapport, nul philosophe n’a rendu plus de services à la psychologie que ne l’a fait M. Albert Lemoine, un maître de conférences de l’École normale, par une série de mémoires sur l’habitude, sur le sommeil, sur le somnambulisme, sur la folie, sur tous ces phénomènes complexes pour l’explication desquels l’expérience physiologique doit s’ajouter à l’analyse psychologique. A mesure qu’on suit l’auteur dans le cours de ces études, on voit son talent d’observation se dégager des préjugés métaphysiques qui semblaient gêner son analyse dans ses premiers essais. La métaphysique elle-même, tout en restant fidèle à de hautes et antiques traditions, a cherché dans plusieurs ouvrages récens, notamment dans le rapport de M. Ravaisson sur la philosophie française contemporaine, la forme systématique que le spiritualisme de l’école éclectique n’avait point su lui donner. On peut contester certains points de cette forte et savante