Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 88.djvu/578

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

vulgaires de la vie, « fermentant d’imagination, » de désirs et de passions à peine écloses, dévorant le monde par la pensée et réduit à ne pas même savoir où il va, ce qu’il pourra faire. Ses oncles ne rêvaient pour lui rien de plus que l’existence obscure et modeste d’un gentilhomme de province ; son père, resté soldat par le cœur, eût été flatté de le voir reprendre l’épée qu’il avait suspendue aux murs de Milly en quittant le service ; sa mère, doucement orgueilleuse des dons qu’elle voyait en son fils, avait de l’ambition pour lui, elle croyait à l’avenir, à la destinée de ce fils, et elle gémissait de le voir se consumer dans l’inaction. Lui, comme ce Raphaël dans lequel il s’est miré, « il avait des ailes à ouvrir et point d’air autour de lui pour les porter. »

Il s’épuisait dans cette fièvre d’activité sans but, lorsque la restauration, se levant sur les ruines de l’empire, changeait la face de la France, et ouvrait une carrière nouvelle à toute une génération de fils de familles royalistes empressés d’aller se grouper comme une chevalerie improvisée autour de la monarchie renaissante. Lamartine était de cette génération ; son père le fit aussitôt admettre dans une des compagnies des gardes du corps, et certes dans cette élite de la noblesse française qui remplissait la maison militaire du roi il devait porter la distinction, l’élégance, la grâce sous l’uniforme, avec toutes ces impatiences d’action qui l’agitaient. Cette vie militaire d’ailleurs, interrompue par le coup de foudre du 20 mars, un instant reprise au lendemain des cent jours, cette vie des camps ou des services de cour était pour lui moins une vocation qu’un goût de circonstance, un beau feu de dévoûment royaliste, un accident chevaleresque. C’était une sorte d’entrée dans le monde, bruyante, animée, une occasion de renouer de vieilles relations de famille ou de former des relations nouvelles dans ce Paris recomposé des premiers momens de la restauration. Ce qu’il faisait, il l’a dit lui-même : les dissipations, le jeu, les courses folles dans les bois de Saint-Cloud ou de Saint-Germain avec ses amis, les improvisations légères, les liaisons, les plaisirs, l’entraînaient dans leur tourbillon sans le satisfaire. Il portait en lui une de ces imaginations qui sont toujours sans repos tant qu’elles n’ont pas trouvé leur voie. Durant ces années où il retombait dans l’inaction en quittant le service militaire, et où plus que jamais il restait avec ses rêves, il partageait son temps entre Paris et sa famille, ou la Savoie, la Suisse, les Alpes, vers lesquelles il revenait sans cesse, passant-des agitations mondaines à la solitude. En Savoie, un de ses amis d’enfance, M. Louis de Vignet, l’introduisait dans la famille, de Maistre, qui habitait son petit domaine de Bissy, et qui offrait une si étonnante variété de puissance et de grâce. À Paris, Lamartine entrait peu à peu dans la société royaliste ; il liait connaissance avec