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annulés, que de démissions contraintes ! Dès lors sous divers prétextes, peu à peu, sans disputer ouvertement aux chanoines le droit d’élire leurs évêques, les papes et les rois se réservèrent ou s’attribuèrent la faculté de pourvoir à la plupart des sièges vacans. Plus tard, par le concordat de Léon X et de François Ier, les élections furent définitivement supprimées. Les rois seuls nommèrent les évêques, qui furent, pour la forme, institués par les papes. Ainsi la paix fut établie dans l’église.

On ne conteste pas que la paix soit quelquefois désirable, bienfaisante, désirable et bienfaisante comme le sommeil après la fatigue ; maison conteste que les papes et les rois aient nommé beaucoup d’évêques égaux en mérite, en vigilance, en courage, à ceux que donnèrent à l’église jusqu’en l’année 1215 ces élections turbulentes que faisaient en commun les laïques et les clercs, on conteste que la durée de cette paix si profonde ait été profitable à la puissance, à l’autorité de l’église. Tout change en ce monde, et c’est presque une raison suffisante de ne plus être que d’avoir été. Il est donc vraisemblable que les élections abolies dans l’église n’y seront jamais restaurées. Quand les rois renonceront à nommer les évêques, ils seront nommés par les papes : qu’on n’en doute pas. En effet, puisqu’aujourd’hui l’église s’impose un pape infaillible, c’est qu’elle ne se trouve pas encore assez en paix. Elle a rêvé la paix du vide. Montesquieu lui disait : « Le despotisme se suffit à lui-même ; tout est vide autour de lui. » C’est là précisément ce qui l’a convaincue que le despotisme est le meilleur de tous les régimes. Une seule voix désormais parlera dans l’église, et à cette voix obéira la multitude des serviteurs silencieux. Illustres pères des grands conciles de Pise, de Constance, quand vous condamniez cette monarchie absolue de l’héritier de saint Pierre, comme également contraire et répugnante au droit humain, au droit divin, vous promettiez à l’église de plus belles destinées !

Instruits du moins par son exemple,


persuadons-nous bien que cette paix trop goûtée n’est pas l’idéal de la société politique. Le despotisme, on le voit dans l’histoire, peut la donner pour un temps ; elle dure par lui ce qu’il dure, pour finir avec lui par un de ces coups de tonnerre dont les désastreux effets désolent longtemps le monde. Ce qui répond le mieux aux conditions de notre nature, ce n’est pas le despotisme, c’est la liberté. Que la liberté soit paisible autant qu’il se peut ; mais, quand-nous la voyons revenir à nous accompagnée de quelques agitations regrettables, considérons-les, sans nous alarmer, comme un mal nécessaire, puisqu’après tout lutter, c’est vivre.


B. HAUREAU.