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griefs personnels, et le poursuivait de ses rancunes. Quand il sollicitait, en l’année 1096, les suffrages de son église, le comte du Maine, Hélie, l’avait combattu[1], l’accusant de vivre habituellement parmi des femmes légères. Ses mœurs ayant donc été l’objet d’une enquête publique, le célèbre canoniste Yves de Chartres l’avait jugé, sur des rapports plus ou moins fidèles, tout à fait indigne de l’épiscopat. Cependant le plus grand nombre l’avait nommé, l’archevêque de Tours l’avait consacré, et depuis sa consécration le comte Hélie le laissait librement administrer son église ; mais les injures que lui avaient faites les gens qui protégeaient Rainaud étaient de celles qu’on oublie le moins. En outre Hildebert était un des amis les plus chers de l’abbé de Vendôme, et celui-ci l’avait prié d’entrer dans sa ligue. Il y entra toutefois sans passion, et ne voulut pas se trouver dans la ville d’Angers au jour désigné pour le vote. Geoffroy s’empressa de le féliciter de son abstention dédaigneuse :


« Puisque vous n’avez pas pris part à une élection illégale, je vous en rends grâces : avec moi, vous rend grâces quiconque aime Dieu d’un cœur parfait. L’emprisonnement de l’évêque de Rennes ne doit aucunement m’être imputé, et mon honneur n’en peut souffrir. Ce n’est pas mon ouvrage, et j’ignorais même qu’il dût être arrêté par ceux qui ont mis la main sur lui. Mes ennemis, je le sais, m’accusent de cela, moi qu’ils ont toujours éprouvé contraire à leurs méchans desseins, et, parce que leurs actions ne peuvent me nuire, ils s’ingénient, ils travaillent à me perdre par leurs mensonges ; mais, que Dieu m’en soit témoin ! je ne crains pas, je n’ai jamais craint leurs langues venimeuses, et, si la protection du Christ ne m’abandonne pas, je leur serai, qu’ils le veuillent ou non, tant que je vivrai, un objet d’épouvante[2].


L’élection faite, Hildebert écrivit à Rainaud pour lui donner le conseil de renoncer lui-même à un titre disputé. Les suffrages populaires n’ont, lui dit-il, aucune valeur. Le choix appartient au clergé ; le peuple n’est appelé que pour acclamer l’élu des clercs[3]. C’était là sa doctrine, et il engageait Rainaud à la consacrer par une démission qui lui ferait beaucoup d’honneur.

Rainaud n’écouta pas ce conseil, et sollicita vivement l’archevêque de Tours de hâter sa confirmation, tandis que le doyen Etienne s’employait de tous ses efforts à la retarder. Sur ces entrefaites, Raoul réclama la présence d’Hildebert, ne voulant sans doute rien conclure sans l’avoir consulté, et sur-le-champ Hildebert écrivit à

  1. Orderic Vital, Histor. eccles., lib. X.
  2. Geoffridi Epistol., lib. III, epist. 14.
  3. Hildeberti Epistol., lib. II, epist. 5.