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De même ù appartenait au pape de tempérer la stricte condition de l’âge. Ainsi les griefs allégués contre la candidature de Rainaud étaient des griefs de pure forme et conséquemment peu sincères. Appuyé par Raoul, par Maribode, qui n’ignoraient pas sans doute les lois de l’église, Rainaud, s’il était élu, devait être consacré. Personne n’en doutait. Si donc tout le reste du clergé conspirait contre cette candidature, il avait pour agir ainsi d’autres motifs que ceux dont il faisait si grand bruit. En effet, il la combattait uniquement parce que tout le peuple des laïques la patronnait.

Dans les premiers siècles de l’église, la participation des laïques à l’élection des évêques n’était pas seulement un usage partout observé ; on interrogeait la voix du peuple en la définissant la voix de Dieu, et de ce concours de tous les fidèles au libre choix des pasteurs on faisait dériver leur droit divin. « C’est surtout le peuple, écrivait saint Cyprien, ipsa maxime plebs, qui a qualité pour élire les bons prêtres et rejeter les indignes. Comme nous le voyons, Dieu lui-même a voulu que le prêtre fût choisi, le peuple présent, aux yeux de tous, et que la preuve de son mérite, de son aptitude, fût fournie par le jugement, par le témoignage public[1]. » Ainsi le pape saint Léon, écrivant aux évêques de la province de Vienne, leur disait : « Celui qui doit commander à tous doit être choisi par tous[2]. » Plus tard, la puissance du clergé s’étant accrue dans l’église, la volonté de Dieu fut autrement expliquée. On dit alors qu’il avait convié le peuple aux élections, non pour les faire, mais pour les voir faire et pour les confirmer par un assentiment respectueux. Cette doctrine fut professée par quelques papes et par le plus grand nombre des canonistes depuis le XIIe siècle : on la trouve encore dans les décrets de plusieurs conciles. Le peuple continuait néanmoins à jouir d’un droit qu’on pouvait déjà lui contester, mais qu’on ne songeait pas à lui ravir ; il prenait une part très active à toutes les élections, et, laissant aux évêques, aux clercs, souvent divisés, l’honneur de lui présenter les candidats, il choisissait. Or les suffrages des laïques, plus désintéressés que ceux des clercs, étaient moins dispersés par les brigues. Plus riche d’ailleurs et plus redouté qu’autrefois, le clergé était moins aimé. C’est pourquoi l’on voyait fréquemment succomber dans l’assemblée populaire le candidat recommandé par le plus grand nombre des clercs et réussir quelque obscur client d’un seul prélat. De là des plaintes fort vives, le clergé se disant opprimé. Quelquefois même il était facile de prouver que les principaux seigneurs de la contrée avaient par des

  1. Thomassin, Anc. et nouv. discipl. T. III, col. 676.
  2. Augustini, Tarrac episc, Juris pontif. vet. Epitome, part. I, lib. IV, lit. 4, c. 7.