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vieux et mal bâtis, doivent être imprégnés d’élémens morbides, l’Hôtel-Dieu, qui n’est en somme qu’une réunion de maladreries superposées, est le plus sain de tous nos hôpitaux, celui où la mort frappe avec le plus d’indulgence, tandis que Lariboisière, construit selon les règles de l’art hospitalier le plus avancé, composé de pavillons isolés, aéré, grandiose, si parfaitement outillé qu’on a pu le surnommer le Versailles de la misère, donne une proportion de morts plus forte que celle des autres hôpitaux. On attribue la salubrité relative de l’Hôtel-Dieu à ce que, formé de bâtimens parallèles séparés les uns des autres, placé sur les rives de la Seine, il est constamment baigné par des courans d’air vivifiant qui emportent les miasmes putrides et versent à flots l’oxygène autour des malades. Pour expliquer les nombreux décès qui atteignent Lariboisière, on a parlé des vices possibles de la construction, de l’étroitesse des préaux, de la hauteur des murailles ; on a cherché des causes exclusivement matérielles, et l’on n’a pas vu que cet hôpital, par le milieu même qu’il est appelé à desservir, accueille la partie la plus chétive, la plus anémique de la population de Paris. En effet, situé dans l’ancien enclos Saint-Lazare, il est forcément le réceptacle de tous les cas morbides qui lui arrivent de Clignancourt, de Montmartre, de La Chapelle, de La Villette, de Belleville, c’est-à-dire des quartiers où la maladie, la faiblesse, sont littéralement en permanence. Les malades qui viennent demander asile dans cette grande et belle maison ont à peine assez de vigueur pour se rétablir. Quand ils entrent, ils sont épuisés déjà et depuis longtemps, on le voit bien après les opérations chirurgicales, qui pour cette cause réussissent là moins bien qu’ailleurs ; le patient les supporte, flotte quelques jours entre la vie et la mort, ne peut parvenir à prendre le dessus, et meurt. Il n’en est point ainsi à Saint-Antoine, qui reçoit la vigoureuse population du faubourg ; à Necker, qui confine aux grands quartiers du Luxembourg et des Invalides ; à la Charité, à Beaujon, où vont les ouvriers en chambre et les gens de livrée : c’est là une raison morale, pour ainsi dire, absolument extérieure à l’hôpital lui-même, et dont il faut d’abord se préoccuper lorsqu’on veut apprécier d’une façon sérieuse et sans parti-pris les causes qui peuvent influer sur la mortalité.

Puisque nous sommes sur ce triste sujet, il n’est point superflu de dire comment les morts sont traités dans les hôpitaux. Lorsqu’un malade a rendu le dernier soupir, il est laissé sur le lit qu’il occupait, afin qu’on puisse constater s’il n’est pas victime d’un cas de mort apparente. Au bout de deux heures, les infirmiers l’enveloppent dans un drap, le couchent sur une civière munie d’un couvercle et le transportent à la chambre de repos, où ils le livrent à un employé spécial qu’on nomme le garçon d’amphithéâtre. C’est