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quantité suffisante. Pour un homme qui est aux quatre parts de nourriture, on donne 48 décilitres de vin pur, ce qui équivaut à trois grands verres ordinaires. Lorsqu’un médecin juge qu’un malade a besoin d’une nourriture spéciale, il lui suffit de faire un bon pour l’obtenir immédiatement. Sous ce rapport, l’alimentation des opérés et des femmes en couches est toujours particulièrement recommandée et soignée.

Dans tous les hôpitaux, les salles réservées aux femmes sont sévèrement séparées de celles qui sont consacrées aux hommes. De plus les services sont également isolés les uns des autres, ici la chirurgie, là la médecine ; il faudrait des cas d’encombrement excessif et d’urgence extraordinaire, dont je ne connais aucun exemple, pour qu’un blessé fût mêlé aux malades. La visite réglementaire que tous les médecins d’hôpitaux doivent faire chaque jour a lieu le matin, ordinairement de huit à dix heures. La têts nue ou couverte d’un bonnet de velours noir, le grand tablier blanc serré autour du corps, le chef de service fait son entrée dans la salle, suivi des internes, des élèves, d’un infirmier qui porte un pot à eau, de la religieuse : c’est un instant toujours attendu avec impatience par les malades, car pour ceux qui souffrent l’apparition du médecin est presque toujours une espérance de soulagement. Il passe devant chaque lit, s’arrête, interroge le malade, fait quelques observations scientifiques à haute voix, s’il y a lieu, dicte l’ordonnance, immédiatement écrite par l’élève en pharmacie qui l’accompagne, réconforte d’une bonne parole ceux qui se découragent, promet la guérison aux impatiens, et sait, s’il est habile, varier son attitude selon les gens auxquels il s’adresse ; c’est un art, un très grand art, de savoir parler aux malades, et jadis je l’ai vu pratiquer d’une façon éminente, lorsque je suivais la visite des hôpitaux. Cet art est surtout délicat et de formes multiples dans les salles de chirurgie, lorsqu’il faut préparer un malheureux à subir une opération cruelle, parfois une amputation qui le fera impotent pour sa vie entière. Il faut de la patience, de la finesse, beaucoup de douceur surtout, et sous aucun prétexte, dans aucun cas, il ne faut imiter ces chirurgiens poseurs qui, ne tenant pas compte des révoltes instinctives de la chair, croient affirmer leur force en violentant le malade, en ne lui laissant même pas le droit de réplique, et semblent s’imaginer que la brusquerie, sinon la brutalité, fait partie de leur profession. Les meilleurs, les plus instruits parmi ceux qui ont donné dans ce travers, ont perdu quelque chose de leur valeur intrinsèque ; Lisfranc avait fini par être en horreur à ses malades.

Dans le service de chirurgie, il y a toujours une minute solennelle et pendant laquelle il se fait un grand silence, c’est lorsque les