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On a dit que l’air rejeté ainsi dans la circulation générale constituait une sorte de pluie méotide chargée d’insectes, de miasmes, de pellicules, qui pouvaient porter la contagion et la mort. Il serait facile, à l’aide d’un appareil incandescent, de brûler au sommet du long tuyau d’aspiration, de griller tous ces miasmes délétères, réellement matériels, et que le microscope reconnaît avec certitude. Pour parvenir à ce résultat, il faudrait obtenir la température dite le rouge sombre, c’est-à-dire 700 degrés. C’est une dépense de 2,000 fr. par vingt-quatre heures et par chaque cheminée de ventilateur[1]. Les quinze hôpitaux de Paris en ont chacun quatre en moyenne, ce qui fait soixante ; or le total des frais entraînés par cette seule combustion s’élèverait annuellement à 43,800,000 fr. Il est fort probable que, tant qu’on n’aura pas trouvé un moyen moins dispendieux de neutraliser un véhicule d’épidémie qui paraît encore très problématique, on s’en fiera aux coups de vent et à la grâce de Dieu.

A tout hôpital, il faut des endroits réservés pour la promenade des malades ; c’est ce qu’on appelle les préaux. Ceux de l’Hôtel-Dieu sont nuls, ceux de Lariboisière trop étroits, dominés en partie par de hautes murailles et insuffisans ; les plus beaux sont ceux de Saint-Antoine, de Saint-Louis et de Necker. Un vaste espace couvert de grands arbres permet aux convalescens de se baigner dans les effluves d’un air vivifié. Les préaux de Necker surtout sont charmans ; il y a des berceaux de clématites, de beaux gazons, des plates-bandes de fleurs. Cet hôpital du reste est bien connu, il est presque célèbre dans la population parisienne. Ses hautes salles, son calme parfait, l’espèce de petit parc qui l’avoisine, le font rechercher par les malades. Aussi les lits y sont-ils rarement libres, car c’est à qui demandera à y être admis. Dans ces préaux, les malades qui sont en état de se lever se réunissent quand ils veulent, une fois que la visite médicale est terminée. Vêtus de leur longue houppelande, coiffés de l’affreux bonnet blanc, ils s’assoient au pied des marronniers, causent entre eux, jouent aux dames, aux dominos, et, s’ils ont quelques centimes, vont à la cantine acheter du tabac à fumer, ou quelques-unes des rares denrées dont la vente n’est pas interdite, mais dont le prix est tarifé par l’administration. C’est le concierge qui remplit les fonctions de cantinier. C’est une place fort enviée dans le monde des employés subalternes des hôpitaux, car elle rapporte de gros bénéfices. Dans certaines maisons, comme Beaujon, comme la Charité surtout, fréquentées par les domestiques du faubourg Saint-Honoré et du faubourg

  1. Académie des Sciences, séance du 14 mars 1870.