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donner deux matelas à tous les lits, qui réglementairement n’en possédaient qu’un ; en outre on eut une réserve considérable qui permit de distribuer des couchettes aux indigens à domicile. Ce grand désastre fut donc une source d’améliorations pour notre ameublement hospitalier et d’enrichissement pour les pauvres. Du reste les souverains alliés rendirent justice au zèle et au dévouement dont le conseil des hospices avait donné tant de preuves, et ils le firent solennellement remercier.

Dix-huit ans plus tard, en 1832, de nouveaux devoirs, moins douloureux peut-être, mais plus terribles par la nature mystérieuse du mal qui les imposait, vinrent accabler le conseil des hospices. Ce n’étaient pas cette fois des armées ennemies qui envahissaient notre capitale, c’était une maladie étrange, presque inconnue, tant elle avait été rare dans notre pays, et qui fondit tout à coup sur Paris avec une violence inouïe. Le choléra-morbus avait ravagé la Russie et la Pologne ; mais rien ne faisait présager que nous en serions assaillis, lorsque le 13 mars le bruit se répandit qu’un portier de la rue des Lombards en avait été frappé mortellement. Les médecins eux-mêmes hésitaient à formuler une opinion définitive, quand le 26 on vit mourir coup sur coup le cuisinier du maréchal Lobau rue Mazarine, une enfant de dix ans dans la Cité, une marchande des quatre-saisons près de l’Arsenal, un marchand d’œufs dans la me de la Mortellerie. Le 31, sur 48 quartiers qui formaient les divisions urbaines, 35 sont attaqués ; dans la journée du 12 avril, 1,200 personnes sont atteintes et 814 périssent ; le 14, on compte 13,000 malades, 7,000 morts. Paris perd la tête, on fuit, toutes les affaires sont suspendues, on ne rencontre que des gens en vêtemens de deuil. Le conseil des hospices tient bon devant le fléau et n’abandonne point son poste. Les hôpitaux étaient devenus absolument insuffisans, les couloirs, les paliers, les vestibules regorgeaient de malades. La population, malgré quelques actes d’ignorante sauvagerie, fut très empressée à seconder les efforts qu’on faisait pour la sauver. On établit des hôpitaux temporaires à la maison des Lazaristes, au séminaire de Saint-Sulpice, au grenier d’abondance du quai Bourdon, au Gros-Caillou, à l’hospice Leprince, aux Bonshommes, à l’hospice des Petits-Ménages, à la maison des Orphelins du faubourg Saint-Antoine, à celle des Convalescens de Picpus, chez M. Mallet, rue de Clichy, chez M. Amelin, rue de la Pépinière, chez M. Derosne, à Chaillot. De plus, dans chacun des 48 quartiers de Paris, on avait établi des bureaux de secours, des ambulances, que l’on reconnaissait facilement la nuit à une lanterne rouge, et où l’on était certain de rencontrer des médecins qui se relevaient de deux heures en deux heures, comme des soldats en faction.

Le service des hôpitaux, quintuplé, décuplé, pendant une longue