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presque disséminées malgré des prodiges de valeur et de stratégie, nos paysans, chassés par les bandes étrangères, vinrent se réfugier à Paris, qu’on croyait imprenable. Avec eux, la contagion entra dans la ville, et les hôpitaux, qui n’étaient point outillés alors comme ils le sont aujourd’hui, furent subitement envahis, et devinrent trop étroits pour la foule des malades et des blessés. L’administration de la guerre, débordée depuis longtemps déjà, ne pouvait recevoir tous les soldats qui venaient frapper à la porte du Val-de-Grâce et du Gros-Caillou. Tout le poids de la situation retomba avec une effroyable pesanteur sur le conseil général des hospices, dont la caisse était-vide et le matériel insuffisant. Il était urgent de trouver 6,000 lits supplémentaires, garnis et prêts à être mis en service. On fit appel à la charité des habitans de Paris ; ceux-ci étaient épuisés par des réquisitions de toute nature, par des impôts sans cesse accrus, par l’arrêt forcé de toute transaction commerciale, par la suspension de tout travail. Le peuple avait grand’peine à vivre dans ces jours de douloureuse mémoire ; il fut héroïque, et se dépouilla avec une admirable abnégation. Chacun s’empressa d’apporter ses draps, ses matelas, ses couvertures, et les mairies furent encombrées par les objets de literie qui affluaient de tous côtés. En vingt-quatre heures, les 6.000 lits étaient au pouvoir de l’administration ; mais où les placer ? On avait pensé à convertir le château de Bercy et l’hôtel des Invalides en hôpitaux provisoires ; de graves difficultés s’opposèrent sans doute à la réalisation de ce projet, car il fut abandonné aussitôt que conçu. Le préfet de la Seine, qui, comme chef de la cité, avait en tout ceci une responsabilité considérable, offrit au conseil des hospices de lui livrer les abattoirs du Roule, de Montmartre et de Ménilmontant, dont la construction, ordonnée par les décrets impériaux du 9 février, du 19 juillet 1810 et du 24 février 1811, n’était pas encore terminée. On accepta, et l’on se mit à l’œuvre avec une activité que les circonstances stimulaient singulièrement. En moins de huit jours, ces grandes bâtisses, qui n’étaient que des chantiers pleins de pierres de taille, furent disposées de telle sorte que 4,100 malades y furent installés, et, lorsque le calme se rétablit, on constatait avec surprise que la mortalité avait été bien moins pesante dans ces sortes d’ambulances, nécessairement aménagées d’une façon imparfaite et insuffisante, que dans les hôpitaux les mieux organisés. Les combats de Craonne, de Soissons, de Laon, poussaient vers Paris des masses de blessés ennemis et d’estropiés ; c’est pour eux qu’on gardait les places que la mort bien plutôt que la guérison faisait dans nos hôpitaux, où l’on ne recevait plus guère les indigens civils. Les comités de bienfaisance en étaient d’ailleurs chargés, et les faisaient traiter à